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Gestion et préservation de l'information. Comprendre, coordonner, agir

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C'est un ouvrage à l'écriture incarnée, tiré de la réalité concrète, des expertises et des mandats de l'auteur. Formulé dans un langage accessible et imagé, il est à la fois un guide et un manuel pour la prise en compte et l'implémentation de la Gestion et de la Préservation de l'Information (ci-après GPI) dans une organisation, en amont de l'archivage historique.

Florian Delabie, belge francophone, est archiviste de formation et titulaire d'une maîtrise en management. Depuis plus de dix ans, il s'est spécialisé dans la GPI et a étoffé ses compétences, notamment dans la protection des données et la cybersécurité. À la différence des pays anglo-saxons, l'Association francophone des archivistes belges dont Florian Delabie est membre considère l'archiviste comme un professionnel qui intervient à toutes les étapes du cycle de vie des archives, depuis leur création jusqu'à leur communication.

Florian Delabie, Gestion et préservation de l'information. Comprendre, Coordonner, Agir. Préface par Marie-Laurence Dubois et Marie-Anne Chabin, Bois-Guillaume: KLOG éditions, 2023, 220 p. ISBN 979-10-92272-42-0 ISSN 2492-2331

Florian Delabie, Gestion et préservation de l’information. Comprendre, Coordonner, Agir

C'est un fait reconnu par quiconque. Plus aucune activité humaine ne peut s'exercer sans recourir aux informations - il en va de même pour les outils informatiques. Elle s'inscrit dans un contexte en pleine ébullition soumis aux effets de l'Intelligence artificielle, du Règlement général sur la protection des données et du Data Act. Les informations numériques sont vitales pour piloter toute organisation, elles sont devenues un nouvel or noir pour certaines. Elles sont la base des décisions et des processus. En tout cas, elles en constituent les actifs qu'il s'agit, de créer évaluer, sécuriser, cartographier, mutualiser, optimiser et valoriser. Leur considération opérationnelle et financière comme levier du changement et de l'adaptation aux défis relève de la vision et de la stratégie de toute politique organisationnelle. Elle se veut holistique. Les entreprises les plus performantes sont celles qui se sont attachées à monétiser leurs actifs. En outre, une bonne gestion informationnelle peut renforcer l'image de marque de l'organisation d'autant si elle contribue à en réduire l'empreinte carbone. Elle peut s'appuyer sur de bonnes pratiques, certaines peu connues ou répandues. Elle doit capitaliser sur elles.

Objectifs, limites et sommaire du livre

Plutôt que des solutions clé en main et un traité méthodologique complet, Florian Delabie propose de manière pragmatique aux décideurs et aux personnes de métier des pratiques, des thèmes de réflexion qui sont autant de prises de conscience et des focus sur plusieurs points critiques de cette politique. Tout en faisant la promotion du concept, il évite qu'il soit trop contraignant au risque de faire fuir les utilisateurs vers d'autres applications.

Le titre de l'ouvrage donne l'orientation sémantique et professionnelle. Son plan est donné par les trois verbes qui l'accompagnent, en réalité les trois piliers de la présentation: «Comprendre» (pp. 35-83), «Coordonner» (pp. 85-130) et «Agir» (131-200). Un quatrième verbe s'ajoute au terme du parcours, dans la Conclusion (pp. 203-212): «Convaincre», soit agir pour convaincre et non l'inverse.

L'introduction (pp. 19-34) installe le cadre: «L'information, système sanguin des organisations» et clarifie la terminologie employée à propos de la GPI, que l'auteur précise au fil des lignes. «Lorsqu'il s'agit de stratégie organisationnelle, il convient d'avoir à l'esprit les nuances "théoriques" existantes, afin de mieux positionner les rôles et les responsabilité et "tagguer" adéquatement les projets» (p. 26). L'information est prise dans son acception large, sans distinction de support, soit un objet désignant «des bits, bytes, des livre ou tout autre média physique» (p. 31). L'expression «gestion de l'information» est préférée à «gouvernance de l'information» pour ses implications concrètes afin d'assurer la bonne administration d'une organisation: collecte, stockage, confidentialité, conformité, gestion des risques, utilisation, transparence, … La préservation de l'information va au-delà de la sécurité et de la protection des données. Elle s'affranchit des questions des archives ou de la conservation. En fait, elle concerne le contrôle sur la durée des informations au fil de leur cycle de vie, certaines appelées à être éliminées, d'autres à être entretenues pour répondre aux attentes de demain ou du surlendemain. À l'acception «document d'activité», celle d'«information engageante» est préférée pour rendre compte de la notion de «record», ne serait-ce que pour «supprimer une barrière terminologique ou scientifique avec les autres parties prenantes» (p. 63). Ce vocable est sorti de son contexte de preuve. En raison des «clichés et des réalités qu'ils charrient», (p. 57), les mots «archives», «archiviste» sont évacués. Ils véhiculent le sentiment de patrimonialisation, frein dans la prise de conscience, voire rédhibitoire pour les décideurs dans les organisations, d'abord soucieux de servir leurs besoins, et non ceux des historiens.

De l'examen des publications sur les problématiques telles que l'archive électronique, le records management, la protection des données, la gouvernance de l'information et sur les technologies comme la suite MS365, la blockchain, la signature électronique, l'auteur tire deux constats fondateurs. Le premier a trait à la focalisation des écrits sur les aspects opérationnels, à savoir les questions pratiques et de gestion quotidienne. Le second qui découle du premier fait que la GPI est peu considérée par les directions ou, tout du moins, ne les convainc que difficilement. Leur sont opposés deux paradigmes: la fin du monopole des départements des technologies de l'information sur la maîtrise des actifs informationnels et la valorisation tant financière qu'opérationnelle de l'information en tant qu'actifs de l'organisation - ils devront dorénavant apparaître dans les écritures comptables. La GPI doit partir de l'existant et ne pas ambitionner de créer ex nihilo un système de gestion de l'information propre. Son objectif est de repenser toute la circulation de l'information, de rapprocher et de faire collaborer tous les acteurs et de les faire participer à la réussite de la démarche, en surmontant les obstacles et en aplanissant les résistances. Un changement de culture dans une organisation n'est pas une sinécure.

Persuader plutôt qu'imposer!

La première section du livre «Comprendre» est celle des états de situation. Elle définit le rôle et la place de l'information dans les entreprises actuelles. En raison du contexte international (pandémie, crise de l'énergie, guerre en Ukraine, …), le numérique a étendu son emprise sur les pratiques quotidiennes des organisations jusqu'à être «monopolistique». Des enjeux critiques en matière de sécurité de l'information et de continuité d'accès aux données ont surgi et interpellent. Tout en relevant l'impact et les conséquences des changements sociétaux et de la «révolution numérique» dans les organisations, Florian Delabie questionne les théories et usages face au numérique; il s'attarde sur le concept «actif informationnel». Un programme de numérisation et une volonté de dématérialisation ne s'improvisent pas. Quant à la «transformation digitale», elle exige de l'organisation de se centrer sur le cœur de son métier. Pas de doute, exemples à l'appui, l'information est un actif, notamment au travers de sa valorisation pécuniaire. Elle doit être inscrite comme telle dans la tête des décideurs au sommet de l'organisation. Aux freins principaux qui sont organisationnels et managériaux auxquels s'ajoute l'insuffisance des allocations humaines et financières, il faut opposer les plus-values de la GPI: efficacité, efficience, conformité et continuité que chaque projet ou chaque initiative doit reprendre tout ou partie à son compte. La vision purement technico-technologique de la GPI n'a plus cours. Elle doit être subordonnée à des règles et à des lignes directrices définies par le gestionnaire de l'information, soit la personne de référence pour leur implémentation et leur suivi. La durée de vie de l'infrastructure informatique, plutôt brève, impose un cadre organisationnel stable et directif. Ranger la GPI parmi les tâches opérationnelles rend impossible une vision globale des processus et des outils de gestion documentaire.

La deuxième section: «Coordonner» pose dès l'entame les trois enjeux qui relèvent de la GPI:

  • La prise de conscience des enjeux informationnels au plus haut niveau des organisations, qui suppose une vision et une approche stratégique et qui se marque par la désignation d'une personne de référence avec pouvoir décisionnaire.
  • Le repositionnement du cycle de vie des données/informations au centre des préoccupations. 
  • La prise de conscience des équipes et des dirigeants métiers aux enjeux liés aux actifs informationnels.

L'implantation de tels changements passe par une valeur ajoutée dans le travail quotidien de l'ensemble des partenaires. Elle suppose des concepts, des outils et des méthodes que l'on retrouve dans le libellé des titres de chapitre: vision holistique et stratégique; recours à des modèles et référentiels; le business case, catalyseur des programmes de GPI; retour sur investissement; identification de nouvelles sources de revenus; diminution des coûts; optimisation des actifs comprenant l'optimisation du temps des collaborateurs, des actifs informatiques, des espaces de stockage physique et numérique; minimisation des risques pour l'entreprise. Elle met en évidence les initiatives centrées sur les personnes, en révisant le triptyque technologie-processus-personnes dont l'auteur souligne le trop de considération des deux premiers termes. Les collaborateurs de l'organisation sont les maillons les plus importants et leurs compétences doivent être reconnues dans les prises de décision. La contribution des décideurs à la démarche est nécessaire et garantit le soutien à toutes les étapes du déploiement de la GPI.

La troisième section, la plus dense, «Agir» repense les pratiques et, à bien des égards, innove en GPI ; elle traite des moyens pour arriver aux objectifs de celle-ci. L'infrastructure couvre l'ensemble des enjeux liés aux actifs informatiques tels que les logiciels, les serveurs, le transport des domaines ou encore le stockage. Dans cette optique, Florian Delabie s'arrête sur la gestion des actifs, appuyée sur la vision en stoemelings (patois bruxellois pour «en catimini») et sur des outils pour faciliter l'implémentation concrète et le contrôle de son application. Le succès de la démarche découle du respect des grands principes suivants que tout gestionnaire de l'information devrait faire siens, s'il entend améliorer les pratiques de l'organisation:

  1. Avoir une vision macroscopique de l'organisation et des systèmes
  2. Appliquer des mesures invisibles/transparentes pour les utilisateurs
  3. Adopter une approche positiviste, centrée sur les opportunités plutôt que les contraintes
  4. Avoir une approche systémique, en impliquant tous les outils présents
  5. Adopter une approche centrée sur les utilisateurs et un processus métier
  6. S'impliquer dans les projets stratégiques
  7. Se concentrer sur des solutions pragmatiques et fonctionnelles, même partielles
  8. Recourir à l'automatisation autant que faire se faire
  9. S'appuyer sur l'existant

La GPI ne prône pas la conservation illimitée. Elle concentre son attention sur les informations à haute valeur. Les problèmes de la sélection et de l'élimination constituent des enjeux qu'il s'agit de solutionner pour ne pas surcharger les serveurs et alourdir les recherches.

Au terme de ses réflexions, Florian Delabie concède que les professionnels de la GPI, quel que soit le point focal retenu (records management, archivage managérial, data management, archivistique) «travaillent tous les mêmes enjeux numériques, stratégiques et démocratiques des organisations» (p. 208): gouverner, gérer, préserver et valoriser. Nonobstant les précautions prises à propos des questions et des débats terminologiques, il ne s'agit pas pour lui d'opposer les approches du records management et archivistique. Le cœur du métier reste de part et d'autre la préservation du contexte, sans oser les unifier et oser franchir le pas, à la différence de ce que j'avais écrit en 2022: «La gouvernance de l'information, inséparable de l'archivistique. Retour d'expériences des Archives cantonales vaudoises (1996-2019)». J'y avais relevé que les apports des sciences de l'information à la gouvernance de l'information n'avaient rencontré ses défenseurs que dans les années 2012 et suivantes1.

Les lignes finales du livre ne détonent pas pour autant dans ce contexte: «Dans ce monde qui devient digital, le gestionnaire de l'information joue donc un rôle clé de relais, de passeur, de facilitateur. Ses défis: s'adapter encore et toujours; et tracer son chemin parmi les enjeux numériques, stratégiques et démocratiques des organisations» (p. 212).

De quelques concepts

Pour remplir ses missions, chaque organisation se dote en principe d'une vision, soit des objectifs à atteindre, et d'une stratégie ou autrement dit de comment atteindre ces objectifs. Pour ce faire, elle peut user d'outils et se baser sur des concepts.

Depuis mai 2022, il existe une première norme ISO24143:2022: «Information et documentation. Gouvernance de l'information. Concept et principes». Elle s'en tient aux définitions et aux lignes directrices. Elle préfigure la publication d'une norme plus importante. Florian Delabie se reporte à la méthodologie pour aider à l'introduction de la gestion de l'information, Information Governance Implementation Model (IGIM), que l'on doit à ARMA International depuis décembre 2019. Huit éléments sont à instaurer pour permettre son déploiement: le comité de pilotage; les autorités (référentiels en matière réglementaire et légal, standards métiers, protection des données personnelles, tolérance au risque); les soutiens; le cadre de procédure; les capacités parmi lesquelles les éléments de sécurité; le cycle de vie de l'information; l'architecture de l'information et l'infrastructure (logiciels, serveurs, stockage, etc.). L'approche big bucket définie, au début des années 2000, par les Archives nationales des États-Unis, NARA, sert de référentiel pour la conservation des actifs, regroupés par blocs2 qui a fait l'objet de nombreuses itérations et réinterprétations3.

La GPI nécessite des processus de suivis et de contrôle, reporting et monitoring, pour mesurer les effets provoqués par l'implantation des nouvelles politiques. On se sert à cet effet d'indicateurs de performance (en anglais Key Performance Indicator/KPI), comme les évolutions du nombre de courriels reçus/envoyés avec une pièce jointe, de documents stockés sur des espaces partagés/personnels, …, ou encore du temps moyen pour accéder à un document.

Enfin, il faut mentionner un des catalyseurs des programmes des GPI, le business case. C'est l'outil managérial à promouvoir en amont de tout lancement de la GPI. «Il va d'une part identifier les raisons du lancement du programme et ses objectifs à court, moyen et long terme. D'autre part, ce document définit les contours pragmatiques, le périmètre dans lequel on va pouvoir avancer.» (p. 98). Le schéma du programme/projet doit arborer les raisons et les opportunités, la valeur ajoutée, la description, le planning avec ses diverses temporalités, les options et les prévisions, les risques et les mesures de minimisation, et enfin l'analyse des coûts et la définition du budget. Il n'est pas capable de tout prévoir et de tout estimer. Des éléments lui échappent, difficilement mesurables ou plus hasardeux à anticiper, comme le retour sur investissement quantitatif et qualitatif, l'identification et la génération de nouveaux revenus, la diminution des coûts d'impression et de conservation des données, ainsi que l'impact environnemental. Dans la réalité., c'est le plus souvent un événement ou une demande spécifique: litige, incident, reporting, justification, etc., qui fait surgir la valeur d'une information conservée.

L'ouvrage de Florian Delabie fourmille de constats, de vérités professionnelles; il suggère de nombreuses pistes de réflexion et revisite de nombreux processus désormais éculés sous les effets de la GPI. Comme le constate une des deux préfacières, Marie-Laurence Dubois, l'auteur réussit la synthèse des arguments et des méthodes pour construire une stratégie et une vision en matière de GPI. Son discours est parlant pour les gestionnaires de l'information à qui il s'adresse en premier lieu et à qui il soumet des pratiques … praticables. La vision holistique que propose le livre et que souligne la seconde préfacière, Marie-Anne Chabin, fait la force des propositions et des solutions de l'auteur. Elle peut être comprise et mise en œuvre par des organisations de taille différente, car elles sont modulables à l'échelle de l'intéressée et applicable. Comprendre, cordonner et ensuite agir, trois postures qui guident les attentes organisationnelles, précèdent et encadrent les réponses technologiques. Florian Delabie a remis le gestionnaire/l'archiviste au cœur du débat et l'investit d'une grande volonté de convaincre. Une perception stimulante, une réhabilitation professionnelle, un plaidoyer à plébisciter!

Coutaz Gilbert 2016

Gilbert Coutaz

Gilbert Coutaz a été directeur des Archives cantonales vaudoises de 1995 à 2019. Il a présidé l’Association des archivistes suisses entre 1997 et 2001, après avoir été membre du Comité directeur de la Section des Associations professionnelles d’archivistes du Conseil international des archives entre 1992 et 2000. Pour ses mérites, l'AAS l'a nommé membre honoraire en septembre 2019.

Membre de plusieurs comités de sociétés d’histoire, il est à l’origine en 1998 de Réseau-PatrimoineS Association pour le patrimoine naturel et culturel du canton de Vaud, en 2004 de COSADOCA (Consortium de sauvetage documentaire en cas de catastrophe), et en 2011 de Mnémo-Pôle.

Entre 2006 et 2014, il a enseigné l’archivistique aux Universités de Berne et de Lausanne dans le cadre du Master of Advanced Studies in Archival, Library and Information Science (MAS ALIS). Il est notamment l’auteur de Archives en Suisse. Conserver la mémoire à l’ère numérique paru en 2016.