Tout sur l’anarchisme
À Lausanne, le Centre international de recherches sur l’anarchisme conserve une collection unique en Europe par ses dimensions. Une bibliothèque de 30 000 documents (monographies, affiches, audiovisuel) et plus de 4000 titres de périodiques, dont une centaine vivants, constitue le cœur de la collection.
Une position particulière au sein du mouvement
La sortie de la Deuxième Guerre mondiale est une phase difficile pour le mouvement anarchiste. L’hégémonie des Partis communistes (France, Italie), la répression démesurée qui frappe les insoumis au service dans les armées coloniales (Algérie, Indochine), les dictatures en Espagne et au Portugal, rien de tout cela n’est favorable à la reconstruction d’un mouvement déjà très affaibli par la guerre. En outre, les bibliothèques des groupes d’avant-guerre, lorsqu’elles ont été mises à l’abri, ne circulent plus. Elles sont stockées ici ou là, mais les livres ne peuvent plus irriguer les débats, faire connaître l’histoire du mouvement. C’est dans ce contexte que Pietro Ferrua entreprend, depuis Genève où il s’est réfugié pour échapper à une condamnation pour objection de conscience en Italie, de mettre sur pied une bibliothèque et un centre de recherches sur l’anarchisme. Il s’agit d’identifier les collections de livres, de journaux et d’archives, puis de permettre à ces documents de circuler. Les archives du CIRA témoignent aujourd’hui de l’intense activité de correspondance qui marque cette première époque.
De ces origines et sans doute aussi de sa position géographique (le mouvement étant moins développé en Suisse qu’ailleurs, les débats y sont moins vifs et fratricides), le CIRA conserve une position particulière. Il n’est pas l’archive d’un groupe ou d’une tendance. Il accueille les documents de tous les groupes et individus qui se reconnaissent un lien avec l’idéal d’émancipation et de solidarité qui parcourt le mouvement anarchiste depuis ses origines ouvrières. Il les rend disponibles à qui veut les consulter, qu’ils soient de simples curieux·ses, militant·e.s aguerri·e·s, chercheurs·euses.
Cette position à la fois engagée et de légère distance est sans doute, lorsqu’il s’agit de conserver la production documentaire d’un mouvement social et politique, la condition d’une inscription dans la durée. Elle permet également d’éviter les destructions documentaires qui sont parfois les conséquences d’une scission.
Professionnalisme sans salariat
Très tôt, le CIRA a cherché à se rapprocher des pratiques professionnelles du monde de l’information documentaire. Comme l’écrit Marie-Christine Mikhaïlo à propos du catalogage vers 1970, qu’elle assure – en même temps que la correspondance et l’accueil – avec sa fille Marianne Enckell : « Ni Marianne ni moi ne sommes professionnelles, mais nous fréquentons beaucoup les bibliothèques et tâchons d’imiter leur manière de faire. »1
En 1985, Anne Cassani élabore, pour son travail de diplôme pour l’Association des bibliothécaires suisses, un vocabulaire d’indexation matière spécifique aux collections du CIRA. Un gros effort de rétrocatalogage est consenti dans les années 1990 pour passer des cartes à un catalogue informatisé. En 2008, il est transféré sur un logiciel libre (PMB) et rendu accessible en ligne. Le traitement des archives, jusqu’alors sommairement décrites, commence à l’aide du logiciel AtoM. Pour autant, le CIRA n’a compté qu’occasionnellement avec du personnel rémunéré. Depuis plus de cinquante ans, l’important travail de description des collections, d’accueil des lecteurs et d’animation est assuré par des bénévoles, enrichi par des collaborations internationales et des civilistes. Le CIRA publie aussi un bulletin annuel et quelques livres. Grâce au soutien de la Bibliothèque nationale, trois périodiques sont accessibles en ligne : Le Réveil, Il Risveglio, La Voix du Peuple.
La vitalité de l’édition anarchiste constitue sans doute un des défis du moment. Si les militant·e·s que nous sommes voient avec joie arriver d’innombrables rééditions de textes fondateurs, les bibliothécaires, que nous sommes aussi, les considèrent avec un peu d’inquiétude, les locaux n’étant pas extensibles. L’acquisition étant basée sur les dons (le plus souvent de la part des éditeurs ou des auteurs), les éditions universitaires échappent parfois à la collection. Autre défi, les idées anarchistes s’étant, au moins partiellement, diffusées dans l’ensemble de la société, il devient difficile de décider ce que le CIRA doit conserver. Il doit naviguer entre une approche historique stricte, qui serait sans lien avec les formes multiples du mouvement, et une politique d’acquisition ouverte aux quatre vents qui ferait perdre sa spécificité au Centre.
L’équipe du CIRA est composée d’une dizaine de personnes aux compétences variées.
- 1 Bulletin du CIRA n°58, 1999.