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2015/4 Kompetenzen

Naviguer dans un monde sans carte? L’archiviste à la croisée des chemins

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Les «Journées des archives» (JDA) réunissent chaque année depuis 2001 des professionnels belges, québécois, français et suisses à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL) en Belgique. Fruit d’une collaboration entre les archives de l’UCL et les Archives d’Etat de Genève, les éditions 2014 et 2015 ont proposé de projeter les archives dans le futur en imaginant l’avenir.

C’est par la lecture des premières phrases d’Alice au pays des merveilles que avons ouvert les JDA 2015: «Alice commençait à en avoir assez d’être assise sur le talus près de sa sœur à ne rien faire: une fois ou deux, elle avait jeté un œil vers le livre que lisait sa sœur, mais il ne comportait ni image ni dialogue, et à quoi sert un livre, pensait Alice, sans images ni dialogues?1» Alice aperçoit ensuite le lapin blanc, se lève et se met à le suivre

Puis le lapin blanc disparaît. Alice se retrouve seule dans la forêt à chercher le bon chemin; les panneaux indicateurs ne sont malheureusement pas d’une grande aide. Elle doit donc avancer sans carte topographique. Comme l’archiviste d’aujourd’hui, Alice se trouve à la croisée de plusieurs chemins. Comment choisir les bons? L’archiviste va-t-il disparaître s’il choisit le mauvais? Toute la profession se pose cette question depuis quelques années, en témoigne le titre provocateur de la journée professionnelle 2015 de l’AAS: «A-t-on encore besoin d’archivistes»?

Les voies qui s’ouvrent devant les archivistes sont-elles complètement nouvelles? L’archiviste de demain serait-il totalement inédit? Pour notre part, nous ne pouvons que souscrire à l’avis d’Hervé Pasquin, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, qui écrit dans la préface de l’ouvrage Les écrits s’envolent que «cet avenir a beau être autre, il s’enracine dans le passé. La continuité ne se rompt pas, elle se dissimule seulement, le temps d’imposer à tous la conscience de vivre dans une ère nouvelle2».

Les archivistes sont-ils alors en train de naviguer sans cartes? Les réflexions suivantes reflètent les thèmes principaux de l’ouvrage Archivistes de 2030, réflexions prospectives3 et synthétisent les points forts des Journées des archives 2015. 

La problématique de l’accès

L’archiviste a pour mission de conserver les données et de les mettre à disposition du public: cette mission n’est pas nouvelle, mais a évolué avec la révolution numérique, qui a entraîné une augmentation exponentielle des données et permis un nouvel accès. Aujourd’hui, les chercheurs veulent travailler à distance; ils attendent donc que les institutions d’archives leur fournissent inventaires et sources en ligne. La responsabilité des archivistes en matière d’accès prend donc une grande importance. Quels fonds d’archives numériser? Comment faire comprendre que la majorité des sources n’est pas encore en ligne? Comment mettre en ligne? Les interfaces d’accès proposées par les institutions d’archives ne sont pas encore orientées «clients» et il est du devoir de l’archiviste de proposer un accès plus compréhensible et immédiat aux internautes, comme insiste Normand Charbonneau, directeur des archives de BAnQ4.

Il s’agit également de se positionner sur la question de la mise à disposition des métadonnées, données et images numérisées en open data. En posant la question «les archives doivent-elles s’aligner sur la donnée?», Andreas Kellerhals a exposé le rôle des archivistes en matière d’open et de big data5

L’importance de cette mise à disposition est apparue concrètement lors du premier hackathon suisse sur les données culturelles qui a eu lieu en février 2015 à Berne. Cet événement a démontré que l’archiviste est indispensable au sein des équipes interdisciplinaires (développeurs, chercheurs, acteurs culturels, programmeurs, wikipédiens, etc.) et qu’il devait s’efforcer de rendre les jeux de données compréhensibles.

Sans lien immédiat avec la problématique du numérique, l’utilisation des archives à des fins autres que de recherche est également à développer, par exemple dans le domaine de la création artistique. Les travaux d’Yvon Lemay et Anne Klein, au Québec, mettent en évidence cette approche, qui demande à l’archiviste de sortir de ses schémas et de s’ouvrir à d’autres utilisations6. Ainsi, les problématiques de l’accès aux archives, de leur utilisation et de la médiation numérique sont non seulement les défis des prochaines années, mais des chemins à suivre absolument. 

Positionnement de l’archiviste sur le cycle de vie des documents 

La question des compétences professionnelles modifie également le rapport au cycle de vie du document. Traditionnellement en bout de chaîne documentaire, les archivistes ont mis en place des solutions pour relever le défi de la pérennisation des documents électroniques, en remontant ladite chaîne pour que, dès leur production, les données et documents soient archivables sur le long terme. Il est devenu une évidence que les archivistes doivent se positionner en experts sur toute la durée de vie du document. En raison de cette vue globale sur la totalité de la gestion du cycle, c’est en matière de gouvernance de l’information que l’archiviste devient un expert légitime.

L’archiviste, un acteur dans la création de la mémoire 

En règle générale, les archivistes participent à la création de la mémoire d’une institution, par exemple en opérant une tâche qui reste au centre de leurs activités, l’évaluation. Réalisée selon des critères qui se voudraient les plus scientifiques possibles, cette opération, pourtant nécessaire, suscite beaucoup de méfiance. En effet, elle est encore aujourd’hui l’objet d’un malentendu constant entre les archivistes et les historiens qui, par essence, créent l’objet de leurs recherches. Une partie d’entre eux comprend mal avec quelle autorité les archivistes interviendraient dans le choix des sources à conserver. Le traitement des archives numériques changera-t-il la nature de l’intervention de l’archiviste et dissipera-t-il ce malentendu? Rien n’est moins sûr. En effet, le moissonnage ou la récolte d’archives numériques, avec comme corollaire la destruction de documents, ne devrait pas diminuer le champ de compétences et la responsabilité de l’archiviste. Il pourrait même les accroître.

Si la production de données numériques, et donc autant d’archives potentielles, est exponentielle, le coût de leur conservation semblerait décroître. Cette hypothèse, qui reste à vérifier dans la durée, ne devrait pas faire oublier que l’archiviste continuera de déterminer la valeur de l’information consignée pour en définir le sort final. 

Il est irraisonnable de penser que toutes les données numériques pourront être conservées, indépendamment de leur appréciation. L’archiviste, par ses choix, permettra aux futures générations de disposer de données de qualité et non d’une masse d’informations dont le bruit sera ingérable.

Certes, pour l’instant, les archives numériques ne semblent pas avoir pas la même saveur que les archives papier traditionnelles, mais cette impression se dissipe déjà. L’archiviste, remontant la chaîne de fabrication des données numériques, remplira pleinement son rôle, soit d’évaluateur et de sauveur de la disparition les données utiles aux recherches à venir. Encore faudra-t-il qu’il sache expliquer sa démarche aux responsables de l’informatique et aux utilisateurs, réclamant l’immédiateté de l’accès aux données. 

L’archiviste responsable

Dans un système démocratique, l’archiviste au service d’une institution publique permet à celle-ci de disposer d’une mémoire administrative, mais aussi et peut-être surtout de garantir un fonctionnement de la société basé sur la sécurité du droit. Lorsque les informations étaient essentiellement enregistrées sur des supports physiques, l’archiviste pouvait gérer les fonds à travers les siècles grâce à un système de classement plus ou moins compréhensible, et les documents survivaient le temps passant. La fragilité des supports numériques, leur volatilité et leurs architectures internes rendent les tâches de la conservation et de la mise à disposition des archives beaucoup plus complexes. Or, l’archiviste a une responsabilité vis-à-vis de la société; il doit pouvoir transmettre un patrimoine informationnel fiable et authentique aux citoyens d’aujourd’hui et de demain. Le monde numérique rend cette mission plus ardue et plus ambitieuse, mais si l’archiviste renonce à entrer dans cette dimension, il risque simplement d’être cantonné au rôle d’un gardien d’un temple voué à disparaître. 

Des chemins

Les quelques pistes de réflexion évoquées ne sauraient prétendre à l’exhaustivité. Naturellement, comme le relevait Frédéric Sardet lors des dernières JDA7, il ne s’agit pas de surévaluer le rôle de l’archiviste dans la société d’aujourd’hui. Cependant, si l’archiviste veut remplir sa noble mission de conservation et de transmission d’un savoir, il importe qu’il réfléchisse aux défis qui se profilent à l’horizon. Sans quoi, il perdra de sa crédibilité en répondant comme le chat blanc d’Alice.

Flückiger Pierre 2015

Pierre Flückiger

Pierre Flückiger est le directeur des Archives d’Etat de Genève depuis 2008. Il est au bénéfice d’une licence ès lettres de l’Université de Genève et a complété sa formation en archivistique à Paris. Historien, il s’est intéressé en particulier à la problématique des réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale.

Dunant Gonzenbach Anouk 2015

Anouk Dunant Gonzenbach

Anouk Dunant Gonzenbach travaille depuis 15 ans comme archiviste aux Archives d'Etat de Genève, où elle est responsable des projets numériques: archivage électronique; gouvernance des documents et données électroniques; outils numériques et médiation numérique. Elle est membre du groupe Records Management-archivage définitif de l'Association des archivistes suisses. Elle tient un blog professionnel: www.hieretdemain.ch.

  • 1 CAROLL Lewis, Alice au pays des merveilles, Pocket, 2010, p.7.
  • 2 PASQUIN HERVÉ, préface, in: KECSKEMETI CHARLES et KÖRMENDI Lajos, Les écrits s’envolent, Lausanne, 2014, p. 15.
  • 3 Archivistes de 2030: réflexions prospectives, Paul Servais [et al.] (eds), Louvain-la-Neuve: Academia, 2015.
  • 4 CHARBONNEAU Normand, «Renouveler notre relation avec les clientèles. Pour sortir de notre cloche de verre», in; L’archive dans quinze ans, Paul Servais et Françoise Mirguet (eds), Louvain-la-Neuve: Academia, 2015, pp. 73-88.
  • 5 KELLERHALS Andreas, «Les Archives à l’ère de la société de l’information: entre tradition et modernité», in: L’archive dans 15 ans, op. cit., pp. 55-72.
  • 6 LEMAY Yvon et KLEIN Anne, [dir.], Archives et création: nouvelles perspectives sur l’archivistique. Cahier 1. Montréal, Université de Montréal, Ecole de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI), 2014, p. 7.
  • 7 Actes à paraître.

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In der digitalen Welt findet sich der Archivar von heute an einer Wegkreuzung wieder und versucht wie Alice im Wunderland das weisse Kaninchen zu finden. Braucht es noch Archivare? Sollten wir die Grundlagen der Archivierung in Frage stellen? Müssen für die Ausübung des Berufs völlig neue Fähigkeiten erworben werden? Die beiden Autoren des Artikels geben einige Denkanstösse, wie sich Archivare den Herausforderungen stellen können und verbinden diese mit den derzeit aktuellen Fachdiskussionen und Überlegungen.