Commentaires Résumé
2024/3 Accès aux archives - droit ou devoir?

L’accès aux archives d’Etat et privées. L’exemple de la législation valaisanne

Commentaires Résumé

En matière d’accessibilité des archives, comment traduire les dispositions légales dans le travail quotidien, et comment articuler les impératifs de transparence et de protection des données? Voici quelques réflexions à partir de la situation aux Archives de l’Etat du Valais.

Lorsqu’en 1996, j’entrais pour la première fois aux Archives cantonales valaisannes – en tant qu’usager quelque peu inquiet –, il m’avait fallu produire l’autorisation écrite d’une autorité communale tout aussi inquiète, afin de pouvoir consulter et photocopier des actes de recrutement de 1812.

Aujourd’hui, ces mêmes documents peuvent être consultés sans autorisation, sur simple rendez-vous, dans la mesure où les archivistes se sont préalablement assuré·e·s que les données personnelles sensibles qu’ils contiennent (pieds plats et imbécilité) ne sont plus soumises à un délai légal de protection. Et même s’il est à présent interdit de les photocopier, par souci de protection également, chacun·e peut en prendre des photographies. La consultation de ces archives est donc devenue tout à la fois plus libre et plus codifiée.

Dans l’intervalle, l’image des archivistes est passée de cerbères poussiéreux peuplant les romans de Fred Vargas, à celle de braves bureaucrates obnubilé·e·s par les lois et règlements.

Protection des données et transparence sous une seule loi

Depuis 2011, les Archives de l’Etat du Valais (AEV) ont pour principal cadre légal un seul et même texte de loi régissant à la fois les questions d’archivage, de transparence de l’information et de protection des données personnelles (LIPDA). Dans les autres cantons romands, elles font l’objet de deux ou trois lois spécifiques.

Cette particularité ne suffit pourtant pas à résoudre les contradictions entre ces différentes questions qui sont par définition en tension les unes avec les autres. La formule consacrée, selon laquelle cette loi signe le passage du principe du secret à celui de la transparence, se révèle insatisfaisante, cela non seulement en raison du fait que l’injonction de transparence induit nécessairement, en amont, des ajustements au niveau de la production (ou non) des documents. Cette formule, trop linéaire et binaire, est par ailleurs peu apte à rendre compte des transformations du travail d’archiviste, de ses paradoxes et de sa réception critique par les usagers. Les paragraphes qui suivent tentent d’en donner quelques exemples.

Données personnelles sensibles

Bien que l’archivage soit intégré sous forme de chapitre à la LIPDA, celle-ci importe parfois dans le domaine des archives un vocabulaire juridique, avec ses abstractions qu’il convient de clarifier. Ainsi le « document officiel », unité légale de base, est seul susceptible de faire l’objet de l’archivage, alors que dans les faits les Archives doivent gérer et communiquer un grand nombre de documents qui ne présentent pas ce caractère officiel. Il en va de même pour « la personne », le plus souvent au singulier en tant que sujet de droit, mais qui dans la pratique cède la place à de nombreuses personnes dont les noms figurent dans des dossiers, des registres, etc.

Les termes de « données » et de « sensibilité » peuvent eux aussi être interrogés. Comme d’autres données, les « données personnelles sensibles » ne sont pas simplement données : Elles sont construites, et leur production suppose déjà un certain degré d’intrusion dans la vie privée des personnes qui est inhérente à la pratique étatique et leur a conféré leur caractère sensible. L'archivage de ces données, en tant qu'elles ont été produites par une administration publique, a certes pour effet de conserver des informations sur la ou les personnes concernées, mais permet également de documenter la manière dont cette administration a traité ces personnes. La sensibilité des données est donc à double sens, et les questions de leur protection et de leur transparence sont toutes deux en jeu de manière imbriquée.

Cela vaut tant pour les archivistes qui traitent et communiquent des fonds organisés par producteurs, que pour les usagers. La crainte de divulguer des données sensibles plane aujourd’hui en permanence sur les centres d’archives. Pourtant, très souvent, ce ne sont pas les données des personnes physiques en tant que telles qui font l’objet des demandes de consultation, mais des informations à portée plus générale. C’est le cas notamment de certain·e·s historien·ne·s qui cherchent à rendre compte du contexte historique de production des données analysées, ou d’artistes qui veulent en faire une exploitation stylisée et sont plus intéressés par l’aspect formel du fonds. Dans d’autres cas en revanche, comme pour la recherche généalogique ou prosopographique qui représente une partie considérable des demandes de consultation, ce sont bien les données personnelles qui sont directement recherchées et exploitées, avec le risque de « profilage » que cela implique.

Profilage

Cette notion a été définie plus clairement depuis le 1er janvier dernier et renvoie désormais au « traitement automatisé » des données personnelles (art. 3 al. 8 LIPDA), c’est-à-dire à l’usage qui en est fait. Cependant, dans le chapitre consacré à l’archivage, elle constitue toujours une caractéristique des documents eux-mêmes, susceptibles de « contenir du profilage » (art. 43 al.2), contribuant ainsi à définir leur délai légal de protection. Cette contradiction interne a pour effet d’entretenir le flou sur le partage des responsabilités entre les Archives et leurs usagers. Probablement qu’un recours plus systématique à la signature de conventions de consultation est le moyen le plus prudent pour tenter de la résoudre tout en appliquant le principe de transparence.

L’accès aux archives privées

Les AEV ont une politique d’acquisition de fonds privés cadrée par la Loi sur la promotion de la culture. Ces archives privées n’entrent en revanche pas dans le champ d’application de la LIPDA qui, contrairement aux autres législations romandes, reste silencieuse sur le droit à appliquer pour leur consultation. Trois régimes relativement différents existent :

  • La convention privée fait foi, et en l'absence d'une telle convention, c'est la législation cantonale en matière d'archivage qui s'applique. (VD, FR, JU, BE).
  • La législation cantonale sur l'archivage fait foi, dans la mesure où une convention privée n'y déroge pas. (GE).
  • La législation cantonale sur l'archivage fait foi, mais « l'accès aux archives privées peut être limité par l'éventuelle convention de donation ou de dépôt dont elles font l'objet ». (NE).

L’absence d’une telle clause dans la LIPDA n’empêche pas que celle-ci s’applique à toute opération de « communication » (art. 3, al. 4) effectuée par les « autorités » dont font partie les AEV. On peut donc en déduire que celles-ci ont l’obligation de ne pas communiquer de données sensibles conservées dans des fonds privés sans observer les clauses de la LIPDA en la matière, et cela indépendamment de ce que prévoient ou non les conventions privées conclues avec les déposants.

Il demeure qu’en pratique, dans de nombreux cas de figure, il n’est pas évident de trancher a priori. Un seul exemple : Le fonds d’une entreprise privée contient des dossiers des membres du personnel soumis à un délai légal de protection. Si aucune restriction d’accès n’a été imposée par le déposant, sachant que celui-ci ne peut valablement donner son consentement que pour les données qui le concernent personnellement (art. 22 al. 1 LIPDA), on appliquera les mêmes clauses que pour toute donnée personnelle sensible. Si en revanche la convention privée soumet toute consultation du fonds à l’autorisation du déposant, quel est le droit qui fait foi dans le cas où un (ancien) membre du personnel demande à consulter son dossier personnel : Faut-il pour cela qu’il obtienne l’autorisation du déposant (l’employeur ou son héritier), ou faut-il au contraire appliquer la disposition de la LIPDA qui prévoit que toute personne a le droit en tout temps de consulter les données qui la concernent personnellement ?

D’une manière générale, le problème de l’accès aux fonds privés est insuffisamment documenté. A ce type de cas concerts, il faut ajouter les entraves, invisibles pour les usagers, qui se situent en amont de l’acquisition d’un fonds privé. Il peut arriver en effet que des donateurs ou déposants potentiels, inquiets par le risque qu’ils courraient de remettre à une tierce institution leurs archives dans le contexte de l’évolution de la législation fédérale sur la protection des données, renoncent à le faire. Les Archives, quant à elles, se trouvent souvent face au dilemme d’accepter ou de refuser un fonds privé d’intérêt public, que ce soit en raison des conditions trop restrictives imposées par le déposant, ou par manque de ressources pour le traiter.

Travail manifestement disproportionné

La question de l’accessibilité des archives d’Etat tend actuellement à se réduire à celle des données sensibles et des délais de protection qui leur sont appliqués, à celle des autorisations à obtenir, ainsi qu’à celle de la consultation des archives numériques qui n’a pas été abordée ici. Or, il existe d’autres enjeux d’accessibilité, moins visibles. De nombreux fonds d’archives, potentiellement riches en informations, n’ont pas pu être traités ni inventoriés en raison de la sous-dotation en personnel pour le faire ou pour renseigner les usagers sur leur contenu. La loi prévoit que les Archives peuvent restreindre l’accès aux documents si la demande consultation implique un « travail manifestement disproportionné ». Malgré cela, aucune demande de consultation n’est refusée a priori, et parmi la minorité d’entre elles qui doivent faire l’objet d’une demande d’autorisation aux AEV, 90 % sont acceptées.

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Christian Schiess

Après des études en sciences sociales et quelques années d’enseignement universitaire, l’auteur a rejoint les Archives de l’État du Valais où il travaille dans le groupe de diffusion de l’information.

Résumé

Faire tenir ensemble les impératifs légaux de transparence et de protection des données soulève de nombreuses questions dans la pratique quotidienne des Archives. A partir de la législation valaisanne, qui présente la particularité d’avoir fusionné dans un même texte ces deux principes contradictoires, cet article propose quelques exemples de ses apports et de ses limites.

Die gesetzliche Forderung nach Transparenz und nach Datenschutz miteinander in Einklang zu bringen, birgt in der in der täglichen Praxis der Archive zahlreiche Herausforderung. Ausgehend von der Walliser Gesetzgebung, welche die Besonderheit aufweist, dass sie diese beiden widersprüchlichen Prinzipien in einem einzigen Text zusammengefasst hat, werden in diesem Artikel anhand einiger Beispiele der Nutzen und die Grenzen einer solchen Gesetzgebung diskutiert.