Commentaires Résumé
2020/2 Représentations et mises en scènes de la société

Représenter l’industrie dans l’Arc jurassien : le rôle du CEJARE

Commentaires Résumé

Le CEJARE, à Saint-Imier, collecte et met en valeur des archives économiques, trop souvent vouées à la destruction. Il contribue ainsi à sauvegarder et à représenter le patrimoine de l’Arc jurassien, l’une des régions les plus industrialisées de Suisse.

Au milieu des années 1990, des chercheurs jurassiens partagent ce constat : l’histoire des entreprises, qui se développe depuis une dizaine d’années dans la région, repose principalement sur des sources consultées au sein des sociétés étudiées. De nombreux documents sont entreposés dans des greniers ou dans des caves, dans de mauvaises conditions. Le risque de destruction, lorsque ces locaux sont affectés à d’autres usages ou en cas de cessation de l’activité, est élevé.

Créer un centre d’archives économiques

Il faut agir : les Archives industrielles et économiques jurassiennes (AIEJ) sont fondées en 1997, avec l’objectif de sauvegarder, de conserver et de mettre en valeur les archives des entreprises de l’Arc jurassien, en particulier du Jura et du Jura bernois. Ce groupe de réflexion concrétise son projet en 2002, en créant le Centre jurassien d’archives et de recherches économiques (CEJARE) à Saint-Imier. La nouvelle association partage des locaux et entretient des relations étroites avec Mémoires d’Ici, créée deux ans plus tôt (lire l’article consacré à cette fondation dans le présent numéro).

Logo CEJARE
Le CEJARE est fondé en 2002 à Saint-Imier.

Le CEJARE répond à un réel besoin dans la région, qui est l’une des plus industrialisées de Suisse. Certes, des archives publiques et des musées conservent certains fonds intéressants pour l’historien économique, mais ce n’est pas leur mission première. Cette documentation, dispersée sur plusieurs sites, n’est de surcroît que partiellement répertoriée dans la banque de données en ligne arCHeco. Quant aux Archives économiques suisses, fondées en 1910 à Bâle, elles privilégient d’autres aires géographiques.

Photo d'atelier
Atelier d’horlogerie au Noirmont (CEJARE Af015 H, Fonds Aubry Frères, 1925).

Collecter et mettre en valeur

Grâce à l’établissement de ce centre spécialisé, de nombreux fonds ont été collectés. Le CEJARE en conserve aujourd’hui près de quatre-vingts, provenant principalement d’entreprises, mais aussi de syndicats, d’associations et de particuliers. Les branches de l’horlogerie (avec notamment Aubry Frères, la Fabrique d’ébauches de Sonceboz, le chronométrier Frank Vaucher), de la machine-outil (Schäublin, Tornos, Bechler et Pétermann, Tavannes Machines Co, Wahli Frères), de la mécanique et du décolletage (Henri Girod, Prata, les Usines Stella) sont bien représentées, reflétant la structure du tissu industriel régional. D’autres secteurs, comme la fonderie (Boillat à Reconvilier), le bâtiment et le commerce de détail, sont documentés.

Photo de la couverture d'une affiche
Brochure publicitaire (CEJARE Tmc 0304, Fonds Tavannes Machines Co, 1972).

Ces archives, témoignages précieux de la vie économique, mais aussi culturelle et sociale, sont mises à la disposition des chercheurs et du public. Malgré les études suscitées, une lacune majeure subsistait : si l’industrialisation de l’actuel canton du Jura est analysée par Alain Cortat dans un livre publié en 2014, une telle synthèse manquait pour le Jura bernois. Le CEJARE a donc mené une recherche d’envergure, parue en novembre 2019 sous le titre L’industrie en images. Un système technologique et industriel dans le Jura bernois, XIXe-XXIe siècle. L’ouvrage reproduit de nombreuses photographies et d’autres documents d’époque. Il accorde une place de choix aux sous-traitants, habituellement peu étudiés en raison de la rareté des sources : ces sociétés sont souvent moins attentives à leurs archives que les fabricants de produits finis, marques horlogères en tête, qui soignent leur communication auprès des consommateurs et savent mettre en scène leur histoire.

Agir au sein des entreprises

En publiant cet ouvrage, en conservant des archives, le CEJARE offre un service public, pour lequel il reçoit des subventions. Il propose aussi ses compétences en matière de recherche et d’archivage à des entreprises et à des institutions : ces mandats fournissent des ressources indispensables à son fonctionnement. C’est aussi une manière de contribuer à la préservation du patrimoine au sein de ces structures, qui ne disposent pas toujours des compétences requises à l’interne.

Pour en savoir plus

Cortat Alain, Des usines dans les vallées. L’industrialisation jurassienne en images, 1870-1970, Neuchâtel : Alphil, 2014, 763 p.

Coutaz Gilbert, « Archives publiques, archives privées : des solidarités nécessaires », arbido, no 3, 2007, p. 56-61.

Donzé Pierre-Yves, « Pourquoi un centre d’archives économiques dans le Jura ? », Actes de la Société jurassienne d’émulation, no 106, 2003, p. 361-372.

Donzé Pierre-Yves et Jornod Joël, L’industrie en images. Un système technologique et industriel dans le Jura bernois, XIXe-XXIe siècle, Saint-Imier & Neuchâtel : CEJARE & Alphil, 2019, 504 p.

Jornod Joel

Joël Jornod

Joël Jornod a consacré sa thèse de doctorat, intitulée La conquête des clients, à l’histoire des magasins Gonset. Spécialiste de l’histoire et des archives d’entreprises, il est responsable du CEJARE (Centre jurassien d’archives et de recherches économiques). Il a coécrit L’industrie en images, ouvrage consacré au développement technologique et industriel du Jura bernois. Il est également chargé de cours à l’Université de Fribourg.

Résumé

Fondé en 2002, le CEJARE collecte et met en valeur des archives économiques. Il conserve aujourd’hui près de quatre-vingts fonds, d’entreprises principalement, mais aussi de syndicats, d’associations et de particuliers. Ses compétences en matière d’archivage et de recherche sont également proposées aux entreprises. Le Centre contribue ainsi à représenter le tissu industriel de l’Arc jurassien, l’un des plus denses de Suisse, dont l’histoire gagne à être connue.