L’archiviste de fiction est-il l’amiral du placard à balai ?
Qui présente-t-on comme un vieillard revêche, asocial, oublié du temps, érudit dans le meilleurs des cas, incidenté de carrière dans le pire des scénarios ? La figure de l’archiviste est porteuse de clichés, mais la représentation de l’archiviste dans la culture populaire est loin d’être toujours négative.
Tout métier est vecteur de stéréotypes, celui d’archiviste n’échappe pas à la règle. Ainsi, les lieux communs concernant ce métier inondent tous les pans de la culture populaire. Pourtant, une étude plus attentive de la figure de l’archiviste dans la fiction permet de dresser un portrait plus nuancé et souvent plus flatteur qu’on ne l’imagine au premier abord. On peut distinguer plusieurs types d’archivistes, certains étant conformes aux clichés attendus tandis que d’autres s’en éloignent avec plus ou moins de bonheur. Une diversification et une revalorisation du métier d’archiviste semble se dessiner malgré la persistance de certains traits de caractère hérités des temps anciens. L’étude des archivistes de fiction permet aux professionnels que nous sommes de mieux se rendre compte de l’image que nous renvoyons et de se jouer des stéréotypes pour mieux se rassurer en constatant l’omniprésence des archivistes dans la culture populaire.
L’observation de ces représentations dans les mondes de l’imaginaire permet de dégager plusieurs grands types d’archivistes de fiction.
L’archiviste-érudit ou la représentation traditionnelle
Souvent représenté âgé, de sexe masculin et célibataire, l’archiviste érudit correspond en tous points aux images que le grand public peut avoir en tête. La meilleure illustration pourrait être celle de la couverture de la bande dessinée l’Archiviste de François Schuiten et Benoît Peeters. Isidore Louis est un homme solitaire, qui souffre d’un manque de reconnaissance évident et qui semble oublié de tous. Il erre, seul dans les dépôts, écrasé sous le poids d’ouvrages trop volumineux pour lui. L’archiviste érudit est en général présenté comme âgé et réfractaire aux archives numériques, à l’image d’Andrew Kerouac, membre de la section des Archives tronquées à la Bibliothèque du Congrès dans la série de thrillers de Laurent Whale intitulée Les rats de poussière – tout un programme. C’est un expert en diplomatique et il s’apparente également à un historien. Cependant, si l’archiviste est présenté comme âgé, ce n’est pas forcément dans un but caricatural mais avant tout pour indiquer qu’il a eu le temps d’emmagasiner un savoir important. Le fait que, dans les jeux vidéos de fantasy, l’archiviste soit souvent un vieux mage qui détient les secrets d’anciens royaumes comme c’est le cas dans Dragon Age où il est présenté comme un guide et un passeur de mémoire. La version féminine existe également, elle peut aussi bien être revêche que d’une grande aménité, elle est, elle aussi, souvent dotée de lunettes et régulièrement coiffée d’un chignon. On fait appel à sa mémoire qui supplée parfois un classement approximatif. C’est ainsi que le spectateur rencontre Miss Cox dans le vingtième épisode de la deuxième saison de l’Amour du risque, une archiviste affable, d’un grand secours pour la suite de l’enquête. Tel n’est pas le cas de Jocasta Nu, l’archiviste Jedi qui fait une apparition remarquée dans l’Attaque des Clones en rabrouant sévèrement Obi Wan Kenobi. S’il lui arrive d’être désagréable – du moins dans un premier temps – l’archiviste érudit s’impose par ses connaissances et sa compétence et finit parfois par faire apprécier son métier des néophytes à l’instar de Viviane Mercadet, la terrible archiviste du commissariat de la série Profilage qui se révèle être finalement une femme passionnée par son métier, passion qu’elle parvient à transmettre malgré ses manières un peu brutales.
L’archiviste par accident
Il arrive qu’on ne choisisse pas son métier, c’est le cas de l’archiviste incidenté de carrière, placé au milieu des rayonnages par une hiérarchie désireuse de le punir par une mise au placard. Cette image est tellement symbolique que l’archiviste de la série Téléchat, BrosseDur, est un balai dont le bureau est un placard, on ne peut pas être plus explicite. La figure la plus fréquente est celle du policier qui, après une bavure ou un coup dur, se retrouve aux archives. Le personnage prend rarement cette mutation avec plaisir et la vit comme une sanction, ses collègues rajoutant volontairement quelques commentaires désagréables pour souligner le caractère dégradant du métier. Lorsque l’avocate Kim Wexler commet une erreur dans la série Better call Saul, le réflexe de son patron est de l’envoyer aux Archives. Lorsque son ami Jimmy passe la voir, il compare sa situation à celle d’un bagnard, c’est dire le caractère peu reluisant des archives à ses yeux. Keith Flick, inspecteur de la police royale de Crémona connaît le même sort funeste après avoir tué le meurtrier de sa sœur. Pour éviter qu’il ne fasse plus de dégâts, il est muté aux Archives dans B The Beginning. Il arrive toutefois bien souvent que cette sanction se transforme en une seconde chance : la plupart des incidentés de carrière finissent par se passionner par leur métier comme Dick Benton, muté de force aux Archives du Congrès à Washington qui se moque de lui-même en se parant du titre « d’amiral du placard à balai ». Les archives sont vues comme un endroit poussiéreux où l’on s’ennuie et pourtant, elles deviennent vite le cœur du sujet. L’archiviste est celui qui déniche secrets et complots et qui dénoue les intrigues. Il n’est plus seulement un technicien mais également un des acteurs principaux du récit, réhabilitant ainsi son lieu de travail. Ainsi, la vision des archivistes négative au départ devient peu à peu positive voire valorisante.
L’archiviste professionnel ancré dans son époque
Ni poussiéreux, ni hors d’âge, la fiction montre également des archivistes dynamiques, bien formés qui sont au cœur de l’action. Comment oublier Diane Kruger qui campe l’archiviste aux côtés de Nicolas Cage dans le film Benjamin Gates et le trésor des Templiers ? Même si elle déroge à certaines règles archivistiques, elle présente une image rajeunie et enthousiasmante du métier. Le jeu Horizon Zero Dawn montre une archiviste du futur, Samina Ebadji, spécialiste reconnue dans son domaine : elle est chargée de l’archivage de l’ensemble de la connaissance humaine, lourde tâche mais ô combien nécessaire. La littérature présente également son lot d’archivistes compétents : dans son ouvrage de science-fiction, Le Temps fut, Ian McDonald dresse un portrait flatteur de Shahrzad Hejazi, archiviste à l’Imperial War Museum qui milite ardemment pour la bonne conservation des archives et le don de documents aux institutions capables de les traiter correctement. La bande dessinée ne manque pas de figures d’archivistes positives comme Dora Bardavia dans l’ouvrage du même nom, une jeune femme qui travaille aux Archives du Berlin documents center ou Future Taylor dans Crossed + 100 où cette jeune archiviste doit recueillir des informations au péril de sa vie dans un monde post-apocalyptique. Notons au passage la multiplication des figures féminines ainsi que leur rajeunissement qui nous éloignent des clichés anciens. Il faudrait également un article entier pour évoquer les confusions encore fréquentes entre les métiers d’archiviste, de bibliothécaire ou de documentaliste, la confusion se joue même dans les traductions puisqu’un « librairian » en anglais se transforme parfois en « archiviste » en français. Ces exemples donnent des visions différentes et parfois complémentaires des archivistes de fiction. Les robes de bures côtoient désormais les décolletés, les archivistes ne sont pas tous âgés. Si certains sont revêches ou peu professionnels –comme le fainéant Père Blaise de Kaamelot – la plupart sont passionnés par leur métier, même s’ils ne l’exercent pas tous de la même manière ou s’ils n’ont pas tous le même parcours professionnel. Cette forte présence des archives et de l’archiviste dans les œuvres de fiction sont un véritable atout pour une profession qui se plaint parfois d’être invisible aux yeux du grand public.
Toutes les références présentées dans cet article sont issues du blog Archives et culture pop’ : https://archivespop.wordpress.com/
Résumé
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Erudit aussi antique que ses parchemins, incidenté de carrière aigri au fond de son dépôt ou professionnel de l’information aguerri, comment l’archiviste est-il représenté dans les œuvres de fiction ? La figure de l’archiviste dans les œuvres de la culture populaire est le reflet de la vision qu’en a notre société. Agaçantes autant qu’attachantes, les représentations du métier montrent aussi une profession très présente voire essentielle dans notre imaginaire collectif. Et si c’était une chance ?
Ein Gelehrter, so alt wie seine Schriftrollen, ein verbitterter Mensch weit unten in seinem Archiv oder ein erfahrener Informationsprofi? Wie werden der Archivarinnen und Archivare in der Populärkultur dargestellt? Die Figur des Archivars in den Werken der Populärkultur spiegelt die Bilder wider, die unsere Gesellschaft von diesem hat. Diese Repräsentationen des Berufs können sowohl ärgerlich wie auch einnehmend sein, sie zeigen aber auch auf, dass es in den kollektiven Vorstellungen der Gesellschaft um einen sehr gegenwärtigen oder sogar wesentlichen Beruf geht. Und wenn genau das eine Chance wäre?