Commentaires Résumé
2015/4 Kompetenzen

L’archiviste interprète

Commentaires Résumé

Dans le cadre des projets informatiques de leurs institutions, les archivistes sont amenés de plus en plus souvent à jouer le rôle de chef de projet ou responsable d’application, et faire office d’interprète entre les besoins des utilisateurs et les équipes techniques. Pour remplir efficacement ces fonctions, ils doivent acquérir des compétences en matière de gestion de projet, de business analyse et de management des SI, ainsi qu’une très bonne connaissance des systèmes placés sous leur responsabilité.

À mesure que le champ d’action des services d’archives s’est étendu dans le domaine numérique et en amont du cycle de vie des documents, au plus près de producteurs et de leurs solutions informatiques, de plus en plus d’archivistes se sont retrouvés à endosser des rôles dévolus en général à des spécialistes du management des systèmes d’information. Ces fonctions peuvent connaître plusieurs intitulés, comme chef de projet, analyste, responsable d’application ou assistant à maîtrise d’ouvrage.

Pourtant, que ce soit pour accompagner des producteurs dans la mise en oeuvre d’une gestion électronique des documents, mettre en place une chaîne de numérisation ou conduire l’implémentation d’un nouveau système de gestion archivistique, elles mobilisent peu ou prou des compétences similaires. L’archiviste assure alors essentiellement une mission de passerelle entre les utilisateurs qui expriment leurs besoins et les équipes chargées de réaliser les solutions qui répondront à ces besoins. Cette position d’interprète fonctionne dans les deux sens: il s’agit non seulement de formaliser les desiderata des usagers dans des cas d’utilisation pouvant être implémentés par les techniciens, mais aussi d’expliquer aux demandeurs le contexte de mise en oeuvre des systèmes et les éventuelles contraintes techniques, budgétaires, procédurales ou temporelles qui empêcheraient de livrer une part des fonctionnalités demandées.

Quels savoir-faire et connaissances sont donc nécessaires pour jouer ce rôle d’interprète, et comment les acquérir? À l’heure où l’apprentissage du code est à la mode, et où l’on évoque même son introduction à l’école primaire, les professionnels de l’information documentaire doivent-ils se former aux bases du développement informatique? Dix ans de collaboration avec des informaticiens nous ont convaincu qu’il serait illusoire de chercher à se substituer à ceux-ci; ce sont des professionnels pointus que nous devons comprendre, mais pas remplacer. D’autant plus que l’organisation des projets informatiques dans la majorité des organisations ne laisse pas aux métiers «clients» la main sur les volets techniques. En termes de compétences numériques, la nécessité est ailleurs.

En premier lieu, l’archiviste responsable d’applications ou en charge de projets doit apprendre à connaître de la manière la plus complète possible les systèmes d’informations de l’institution pour laquelle on oeuvre, et leur contexte de gestion. Cela inclut notamment :

• La stratégie et la feuille de route informatiques de l’institution, afin de connaître les contraintes et opportunités actuelles et futures : par exemple, l’organisation privilégie-telle les solutions open source? Favorise-t-elle le développement du cloud computing? Met-elle l’accent sur les applications mobiles?

• Les politiques et lignes directrices en matière de sécurité de l’information, de gestion des données de références ou encore d’interopérabilité des différentes applications.

• Les politiques et processus de conduite des projets informatiques, de maintenance des systèmes, de support sur les solutions.

• Les rôles et responsabilités des différents  acteurs (comités de pilotage, équipes de développement, intégrateurs, administrateurs de systèmes).

• L’infrastructure générale des systèmes d’informations : réseaux, serveurs de bases de données, solutions de stockage, technologies de développement etc.

Cela requiert une démarche proactive auprès des services informatiques: réclamer les briefings et la documentation nécessaires, assurer une veille sur les activités et projets du service et chercher à nouer des contacts réguliers avec les différents responsables.

Sur les systèmes eux-mêmes, pour paraphraser un confrère, il s’agit d’en savoir assez pour comprendre et évaluer ce qui nous est livré, en matière d’interfaces, de fonctionnalités et d’architecture, et de développer une capacité à clairement et correctement «ask for what is required». Dans ce but, en ce qui concerne les logiciels sous sa responsabilité (qu’ils soient déjà en production ou en cours d’intégration), l’archiviste doit acquérir:

• une expertise dans leur administration et leur utilisation;

• une compréhension approfondie de leur modèle de données: comment l’information y est-elle structurée, codée et enregistrée? Comment est-elle interrogeable?

• une connaissance de leur architecture et de ses contraintes (accès, modes de stockage, etc.). Ainsi il sera en mesure de rédiger la documentation fonctionnelle et assurer un support aux utilisateurs, identifier des anomalies et documenter d’éventuels bugs, rédiger des spécifications détaillées pour les nouveaux systèmes, mais aussi les demandes de maintenance ou les actions de migration de données.

La source de telles connaissances est évidente pour les systèmes eux-mêmes, les formations ad hoc étant en général proposées par leurs éditeurs; il peut être plus ardu en revanche d’acquérir des connaissances informatiques de base (comment fonctionne une base de donnée ou une application web, par exemple) si leur apprentissage n’était pas inclus dans les formations initiales qui ont pu être suivies. Cela passera alors par l’autoformation, notamment via la littérature spécialisée ou des MOOCs, ainsi que par la mise en place d’une veille sur ces thématiques.

Notons en aparté qu’en sus de ces compétences, la curiosité, l’envie d’expérimenter et d’apprendre face au numérique sont aussi des facteurs de succès. Il n’y a pas d’école pour ces soft skills, mais c’est un état d’esprit que l’on doit s’efforcer d’adopter.

Pour conduire un projet et collaborer efficacement avec les différents partenaires (équipes techniques, fournisseurs, autorités de tutelles), on doit aussi se former à la méthodologie de projet en vigueur dans son institution (souvent HERMES dans les administrations publiques suisses, PMI ou PRINCE2 dans les organismes privés) : elle donne le cadre de réalisation d’un projet, structure ses étapes, ses livrables et les rôles de chaque intervenant. Il convient en outre d’acquérir au moins les bases des méthodes de gestion de projet dites «agiles», qui prennent une importance croissante dans le domaine informatique.

Sur ce point, les archivistes peuvent viser la certification de Scrum Product Owner qui correspond au rôle joué par les représentants des métiers, propriétaires du produit à mettre en oeuvre, dans les équipes de projets agiles. Par ailleurs, dans la liste des savoir-faire utiles aux archivistes chefs de projets, n’oublions pas d’inclure les différentes techniques regroupées sous le chapeau de la business analyse: méthodologies d’enquête et de recueil des besoins, analyse de systèmes et modélisation de processus. Elles forment le socle méthodologique des phases d’initiation et d’élaboration de projets informatiques.

Que ce soit pour la gestion de projet ou la business analyse, de nombreuses formations existent, dispensées par des instituts privés de formation continue, des hautes écoles spécialisées ou des universités. Chacun peut y trouver son compte, entre des modules courts, de quelques jours, ou des formations diplômantes sur un ou deux semestres. À moyen terme, les professionnels I+D qui ont principalement en charge des projets auraient aussi intérêt à obtenir des certifications spécialisées (par exemple PMI ou IIBA), afin de faire reconnaître plus facilement leurs compétences dans ce domaine par leurs différents interlocuteurs.

Au vu de ce qui précède, on pourrait se demander si les services d’archives ne devraient pas engager des spécialistes de la gestion de projet ou du management des SI plutôt que de confier ces tâches aux collaborateurs archivistes. Mais il ne faut pas négliger que les savoir-faire propres au métier, la connaissance des normes, des bonnes pratiques et de l’environnement archivistique participent autant à la réussite des projets que les compétences décrites plus haut. C’est ainsi que l’archiviste interprète ne fait pas seulement office de «passe-plat» entre les utilisateurs et les informaticiens, mais peut enrichir les projets par sa maîtrise du métier, sa force de proposition et sa capacité d’innovation.

Références bibliographiques

Pinsent Edward, «IT skills for archivists and librarians» [en ligne], 2014, ulcc.ac.uk/2014/10/23/it-skills-for-archivistsand-librarians/> (consulté le 04.10.2015).

Thomson Dave, «Ten IT skills you need to have to work with digital preservation» [en ligne], 2014, com/u/95767577/Ten%20IT%20skills%20you%20need%20to%20have.pdf> (consulté le 04.10.2015).

Garcia Alexandre 2015

Alexandre Garcia


Alexandre Garcia est archiviste au sein de la Division des archives et de la gestion de l’information du Comité international de la Croix-Rouge. Il y exerce la fonction de chef de projet pour la mise en oeuvre de plusieurs solutions informatiques (archivage électronique, gestion d’archives audiovisuelles, records management). Il est membre du groupe de travail «Records management et archivage électronique» de l’AAS et cofondateur du collectif «les Archiveilleurs». Il intervient également dans la formation en information documentaire délivrée par la Haute école de gestion de Genève, sur les thématiques du records management.

Résumé

Im Rahmen der IT-Projekte in ihren Institutionen übernehmen Archivare immer öfter die Rolle als Projektleiter oder als Verantwortlicher für eine Applikation. Hier fungieren sie als Dolmetscher zwischen den Bedürfnissen der Nutzer und der Informatik-Teams. Um diese Funktion effizient zu erfüllen, müssen Archivare Fähigkeiten im Projektmanagement, in der Business-Analyse und im IT-Management erwerben und gute Kenntnisse der Systeme in ihrer Verantwortung haben.