Ouverture – quel rôle pour l’Association des archivistes suisses dans un monde en pleine mutation?
COVID-19, conséquences du dérèglement climatique, tarissement des matières premières, guerre en Ukraine, crise énergétique: la situation mondiale a radicalement changé en deux ans et rend l’avenir très incertain. Quel rôle doit endosser l’Association des archivistes suisses dans ce contexte en mutation? Quelques éléments de réponse.
Le rôle d’une association professionnelle est avant tout de maintenir l’employabilité de ses membres tout au long de leur carrière et d’offrir des formations initiales et continues qui permettent véritablement de répondre aux défis du moment. La journée professionnelle 2021 consacrée à la thématique de la durabilité en constitue un exemple récent. Nous devons poursuivre sur cette voie et ainsi proposer au cours des prochaines années des formations dédiées aux conséquences du dérèglement climatique sur notre mission de conservation (précipitations intenses et inondations soudaines, chaleur extrême sur une longue période…), au tarissement des matières premières, qui provoquera des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, ou encore à la crise énergétique, qui aura un impact non seulement sur la gestion climatique de nos dépôts d’archives, mais aussi sur la gestion, la collecte, la conservation et la mise en valeur de notre patrimoine sous forme numérique. Il s’agira non pas d’ergoter sur ces questions, mais d’esquisser des pistes de solution pour assurer la transmission de notre mémoire aux générations à venir.
Est-il réellement pertinent de dématérialiser tel processus d’activité, qui n’apporte finalement pas une réelle plus-value aux utilisateurs finaux?
Sur une planète aux ressources limitées – constat purement physique – la question de la sobriété devient essentielle. Essayons donc de l’anticiper avant qu’elle ne nous soit imposée. Sans être technophobes, soyons réalistes et réfléchissons aux conséquences à moyen et à long termes de nos actions. Est-il réellement pertinent de dématérialiser tel processus d’activité, qui n’apporte finalement pas une réelle plus-value aux utilisateurs finaux? Est-il réellement pertinent de numériser ses fonds d’archives pour les mettre à disposition d’une communauté de chercheurs réduite? Est-il réellement pertinent de développer des projets d’humanités numériques dont le grand public a de la peine à comprendre la pertinence? Soutenir un tel discours peut paraître incongru voire totalement contreproductif à l’heure où les archivistes commencent à peine à être pleinement intégrés aux projets de gestion des documents sous forme numérique menés au sein de leur organisation et à faire valoir leur expertise en tant que garant d’une information authentique et fiable, source de connaissances pour les générations actuelles et à venir. Mais n’est-ce finalement pas notre rôle en tant qu’archivistes d’interroger cette pertinence, alors que notre horizon temporel se mesure à l’échelle des siècles? De manière à anticiper et à négocier une sobriété qui, si nous ne faisons rien, nous sera tôt ou tard imposée. Une sobriété volontaire en quelque sorte. Une éthique de la responsabilité en tous les cas.
Mais n’est-ce pas notre rôle en tant qu’archivistes d’interroger cette pertinence, alors que notre horizon temporel se mesure à l’échelle des siècles?
La réponse aux défis actuels viendra de la collaboration et de la coopération. C’est ainsi que l’Association des archivistes suisses doit réaffirmer son rôle de metteuse en réseaux, en favorisant tout d’abord la rencontre et le partage d’informations entre ses membres individuels et collectifs. Elle le fait déjà, en fonction de ses moyens et de ses ressources, mais il me paraît essentiel de les développer dans les années à venir. Elle doit ensuite renforcer sa collaboration avec les associations professionnelles du domaine des archives actives au niveau national et international ; les récentes discussions menées avec les associations d’archivistes francophones constituent une première étape. Elle doit enfin et surtout renforcer sa collaboration avec les autres associations professionnelles actives dans le domaine de la conservation du patrimoine en Suisse. Non seulement pour faire entendre sa voix, mais surtout pour faire entendre la voix du patrimoine auprès des autorités politiques et de la population en général. Sur les six axes forts retenus dans le cadre du Message culture de la Confédération pour la période 2025-2028, deux nous concernent de près: une transition numérique maîtrisée et une relation au patrimoine culturel renouvelée. Les discussions actuelles autour de la politique de la mémoire au niveau national doivent de même être l’occasion de rappeler notre expertise dans les domaines de l’évaluation et de la collecte du patrimoine. Participons donc pleinement au débat pour l’orienter dans la direction que nous souhaitons. Sans compromission, mais tout en compromis. C’est de mon point de vue un lobbyisme efficace et intelligent, qui nous renforcera à moyen et à long termes.
Accompagnement de la communauté archivistique aux changements de notre environnement, promotion de la sobriété volontaire, au nom d’une éthique de la responsabilité, collaboration et coopération avec les partenaires pertinents dans les domaines de la gestion des documents et des archives. Telles sont les principaux rôles que doit, à mon sens, endosser l’Association des archivistes suisses au cours de son prochain siècle d’existence. Pour rayonner auprès de ses membres et faire entendre sa voix et/ou sa voie dans une société dont les mutations ne font que commencer. Au-delà des défis métier actuels que nous connaissons toutes et tous et qui nous occupent au quotidien. Ad multos annos.