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2007/3 Überlieferungsbildung – Zusammenarbeit und gemeinsame Verantwortung für Transparenz

La collecte des archives privées. Une responsabilité partagée; l’expérience française

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C’est une évidence de nos jours de rappeler que les archives privées constituent une ressource indispensable pour les chercheurs et qu’elles permettent de compléter la vision administrative restituée par les sources officielles longtemps seules collectées. La sauvegarde des fonds privés répond par ailleurs au souci d’universalité qui conduit l’action de tout archiviste pour qui tout témoignage possède en soi une importance à ne pas négliger.

Mais nous savons que les services publics d’archives rencontrent déjà, dans la collecte des archives des structures officielles bien des obstacles; il leur est en effet bien difficile pour des raisons de place, de moyens, de disponibilité, de connaître tous les producteurs d’archives privées et de sauvegarder leurs papiers. Le pourraient-ils, il n’est pas certain que leurs partenaires accepteraient aujourd’hui de leur confier leurs archives devenues bien souvent objets mémoriels et enjeux de reconnaissance, sinon biens culturels occupant, à ce titre, une place de plus en plus affirmée au sein du marché de l’art. Face à cette affirmation patrimoniale, quelle stratégie la communauté des archives peut-elle engager afin de favoriser la conservation d’une mémoire sur laquelle elle ne dispose pas de moyens légaux et administratifs? Quels partenariats convient-il de développer? Dans les pages qui suivent, nous nous proposons d’évoquer, sans prétention pédagogique, les pistes explorées par les Archives de France, comprises ici comme le réseau tout entier des services publics d’archives, qui ont paru répondre au nouveau contexte de la collecte des archives privées et qui peuvent illustrer le débat sur l’archivage partagé.

L’émergence de la prise en compte des archives privées

Le code français du patrimoine distingue soigneusement les archives publiques des archives privées. Les premières qui viennent, par le biais des versements, enrichir régulièrement les collections publiques, sont constituées par l’ensemble des documents produits ou reçus par l’administration, par les personnes physiques ou morales investies d’une délégation de l’autorité publique, autrement dit, les officiers publics ministériels comme les notaires, les associations de droit privé chargées d’une mission de service public ainsi que les entreprises publiquesCode du patrimoine, partie législative, Paris, Les Editions des Journaux officiels, 2004. Les dispositions du code sont complétées par les décrets d’application de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives désormais codifiées, notamment le décret n° 79–1037 du 3 décembre 1979 modifié relatif à la compétence des services publics et à la coopération entre les administrations pour la collecte, la conservation et la communication des archives publiques et le décret n° 79-1040 du 3 décembre 1979 relatif à la sauvegarde des archives privées présentant du point de vue de l’Histoire un intérêt public..

Les archives privées, en revanche, échappent à cette définition et représentent l’immense masse documentaire produite dans le cadre de toutes les activités qui ne relèvent pas de l’autorité administrative: archives produites par les individus et les familles, les personnes physiques, archives secrétées par des personnes morales, associations, entreprises et qui embrassent tous les domaines d’activité de la société, de l’économie, du savoir, de la pensée, de la création artistique et littéraire.

Ce n’est en fait que tardivement que les archivistes français ont réellement pris en compte l’intérêt présenté pour la recherche historique par les archives privées et ont orienté leurs efforts vers elles; le discours, très souvent cité, du marquis de Voguë, président de la Société d’histoire de France, en 1891, très vite relayé par les historiens et la communauté scientifique, fait figure de texte fondateur de la campagne de sauvegarde des archives privées dans le paysVoguë (Marquis de), «Discours sur l’importance des archives de famille», Annuaire Bulletin de la Société d’Histoire de France, 1891, n° 28, pp. 89–105; Langlois (Charles- Victor) et Stein (Henri), Les archives de l’histoire de France, Paris, Picard, 1891, pp. 475–608.. S’il est vrai que la création, aux Archives nationales, en 1856, de la série AB XIX, habilitée à accueillir les entrées par voie extraordinaire, et, par conséquent, les archives d’origine privée, avait déjà marqué une évolution notable, il s’agissait davantage alors, dans l’esprit de ses concepteurs, d’éviter d’introduire dans les séries consacrées aux archives publiques des documents dont l’authenticité n’était pas établie de façon absolue.

En matière d’archives privées, la doctrine s’est fixée progressivement avec la création, aux Archives nationales, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1949 exactement, d’une section qui leur a été spécialement dévolue et dans les archives départementales, d’une nouvelle série, la série J, destinée à les accueillir. L’action déterminante de Charles Braibant, directeur des Archives de France, a ainsi favorisé l’émergence d’un vaste mouvement de collecte qui s’est accompagné d’une campagne active de sensibilisation des détenteurs d’archives privées, notamment avec la création d’un comité chargé d’étudier les mesures susceptibles de favoriser la sauvegarde de ces archives. Cette politique s’est traduite par la remise de nombreux fonds et documents aux services publics d’archives, tant sous la forme de dons que sous celle de dépôts.

Parallèlement des actions de recensement étaient lancées pour localiser les fonds privés conservés en mains privées, département par département, et le fichier qui résulte de cette enquête dite Braibant est toujours tenu à jour.

Dans le même sens, en 1954, Charles Braibant lançait une enquête sur les livres de raison, enquête récemment reprise et mise à jour en partenariat avec l’Université et élargie à tout ce qui ressortit du for privéRuggiu (François-Joseph), «La base nationale des écrits du fort privé», Actes des journées d’études co-organisées par la direction des Archives de France et le Centre de recherche sur le droit du patrimoine culturel, Archives et sciences sociales, aspects juridiques et coopération scientifique, Sceaux, 3–4 novembre 2004, Paris, L’Harmattan, 2006.. Le souci d’éviter la disparition ou le démembrement de fonds précieux, répondait ainsi aux nouvelles orientations de la recherche historique tout en confortant le rôle dévolu à la communauté archivistique comme gardienne de la mémoire de la Nation dans toutes ses composantes.

Cet effort de collecte enfin devait reposer sur des moyens financiers adaptés, permettant de faire face aux sollicitations d’un marché de plus en plus organisé; les services des Archives nationales comme les services territoriaux, disposent ainsi, depuis 1952 pour les premières, de crédits d’acquisition. Ces derniers ont permis de réaliser d’importants enrichissements et l’achat de fonds prestigieux comme aussi de documents isolésPour l’histoire des archives privées en France, voir Nougaret (Christine), «Archives familiales et archives nationales, une relation de deux siècles», Actes du colloque Archives familiales et noblesse provinciale, Grenoble, 28–29 avril 2005, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble (La Pierre et l’Ecrit); Manuel des archives privées, Paris, Direction des Archives de France (à paraître)..

C’est également dans le cadre de cette évolution qu’il convient de situer la création, en 1993, d’un centre exclusivement consacré aux archives d’entreprises. Il s’agissait initialement, dans l’esprit des responsables des archives de l’époque, de doter le pays de cinq grands centres régionaux susceptibles d’accueillir les archives économiques et financières. Le premier centre des archives économiques devait voir le jour, assez logiquement, dans le Nord, région alors marquée par une crise économique et sociale sans précédent mais qui manifestait déjà une volonté forte de conserver sa mémoire et tous les éléments qui avaient forgé son identité.

C’est précisément à Roubaix que fut créé le Centre des archives du monde du travail, dans les bâtiments réhabilités de l’usine textile Motte Bossut. Sa vocation initiale consistait à accueillir et à collecter les archives industrielles; elle s’est progressivement diversifiée et étendue à d’autres domaines, les fonds d’architectes, les archives d’associations, la difficulté étant d’assurer la cohérence de la collecte autour de la thématique originelle fort heureusement suffisamment généraliste, le monde du travail. Quant aux autres centres d’archives économiques et financières prévus, ils ne furent pas réalisés pour des raisons budgétaires, permettant au CAMT de jouer un rôle national.

Le cadre réglementaire et la pratique archivistique

Il n’existe pas en France, de situation de monopole pour les services publics en matière d’archives privées. Cette situation découle de la nature même de ces archives, de leur statut juridique et des caractéristiques de la propriété privée. Même s’il existe des contraintes, limitées à certaines catégories d’archives, rien n’oblige leur détenteur ou leur producteur à les conserver et encore moins à les confier à un service public d’archives. Si une famille, un individu, une association, une entreprise souhaitent conserver les archives qu’ils ont produites, nul ne peut les en empêcher. Ils sont parfaitement libres d’en assurer eux-mêmes la gestion, la conservation et la valorisation, actions qui de plus en plus souvent vont de pair, ou encore de les confier à un organisme susceptible d’assurer ces missions. De la même façon, il leur est parfaitement loisible de s’en défaire, voire de les détruire. En l’espèce, l’enjeu mémoriel ou symbolique est, ici, déterminant.

Du côté des archivistes, la collecte et la sauvegarde des archives privées, qu’elles soient de nature économique ou associative, ne présentent pas de difficulté technique, mais les responsables des services publics d’archives ne disposent pas à l’égard des archives privées et de leurs propriétaires, des même moyens d’action ou de pression qu’à l’égard des fonds administratifs. Pour les papiers publics, les professionnels ont à leur disposition des textes législatifs et réglementaires qui leur permettent, normalement, d’en assurer la collecte, la conservation et la communication. La politique de coordination interministérielle poursuivie par la direction des Archives de France a permis et permet toujours l’élaboration d’instructions de tri, déclinées en tableaux de gestion tant au niveau national qu’au niveau territorial qui, pour chaque secteur de l’action publique, précisent les règles de conservation, la durée d’utilisation administrative, le sort final de chaque dossier produit à l’expiration de cette durée d’utilisation administrative. Depuis des décennies également, le contrôle scientifique et technique des archives publiques exercé par les responsables des services d’archives a permis de suivre ces archives et les contacts réguliers développés entre les archives et les services producteurs évitent les éliminations intempestives.

En revanche, dans le domaine des archives privées, les archivistes français ne disposent pas de moyens d’action analogues; à l’application de textes législatifs et réglementaires, des circulaires et instructions interministérielles qui constituent aujourd’hui un corpus impressionnant, doivent se substituer des efforts de persuasion, la recherche de contacts et l’établissement de liens de confiance avec les détenteurs de papiers privés que le temps, toujours trop mesuré, des archivistes ou l’absence d’opportunités ne permettent pas toujours d’établir et d’entretenir. Définir et conduire une politique d’acquisition d’archives privées dans un service d’archives constitue un exercice auquel les archivistes sont, il est vrai habitués, mais il s’agit toujours d’un exercice plus difficile.

Sans doute, devant l’explosion du volume des archives contemporaines, l’inflation du papier ou aujourd’hui les problèmes posés par la conservation et la gestion des archives électroniques, l’attention des responsables des services d’archives, territoriaux notamment, a-t-elle été retenue davantage par la sauvegarde des archives publiques de sorte que la politique «officielle» des archives en France a parfois pu donner l’impression d’une indifférence ou d’une négligence à l’égard des archives des structures privées ou associatives. Peut-être, et de façon sans doute plus juste, peut-on estimer que le réseau officiel des archives ne leur a pas accordé toujours l’importance qu’elles méritent.

Le bilan des dernières décennies apparaît cependant éloquent et il suffit de parcourir les instruments de recherche mis à la disposition du public dans les salles de lecture, de consulter la base BORA qui recense, sur le site de la direction des Archives de France, tous les fonds d’archives privées conservés dans nos dépôts, pour mesurer l’ampleur de la collecte réalisée et apprécier la place prise par ces derniers dans les collections publiques au sein desquels ils sont de mieux en mieux représentésLes Archives nationales, site de Paris, conservent près de 700 fonds d’archives de personnes et de familles, entrés dans les collections, tant sous la forme d’acquisitions à titre onéreux, que de dations, de libéralités ou de dépôts. Voir Etat sommaire des fonds d’archives privées, séries AP (1 à 620) et AB XIX, Paris, Centre historique des Archives nationales, 2004. L’état des fonds d’associations et de presse conservés par les Archives nationales doit paraître prochaine- ment. Comme le premier, il fera l’objet d’une mise à jour régulière sur le site des Archives nationales..

La loi française autorise l’entrée d’archives privées dans les collections publiques, sous forme d’acquisitions à titre onéreux, mais aussi de libéralités et de dépôts révocables. Il appartient toutefois aux responsables des collections de s’assurer que les archives privées qui leur sont proposées en don ou en dépôt correspondent à la logique des collections dont ils ont la responsabilité et constituent un complément pertinent aux archives publiques qu’ils ont pour mission de conserver.

Le critère géographique reste déterminant. Le réseau des Archives de France est un réseau territorial, départemental et communal, avec à sa tête, des archives nationales dont les centres ont aujourd’hui un statut de services à compétence nationale. Comme celle des archives publiques, la collecte des archives privées s’inscrit donc nécessairement dans un périmètre géographique bien délimité. A l’archiviste mais aussi et surtout à son autorité de tutelle de fixer les limites de l’exercice et de s’interroger sur les capacités des services dont ils ont la responsabilité, tant sur le plan logistique que sur le plan scientifique, à faire face à des situations d’urgence. A ce titre, on citera le cas récent des archives départementales de l’Oise qui se sont trouvées confrontées à un défi majeur pour la conservation de la mémoire industrielle du département: le sauvetage des archives de la manufacture ESSEF, entreprise de papiers peints active de 1867 à 2006 dans la vallée du Thérain. La faillite de l’entreprise a entraîné la dispersion de ses archives dont la majeure partie a rejoint, tout récemment, les collections publiques, soit sous forme de don, soit, pour un nombre non négligeable de pièces, sous forme d’achats en vente publique. L’action d’une association locale, les Amis du patrimoine de Balagny, l’appui du conseil général, relayé par l’Etat, qui a autorisé, en mai 2007, l’exercice du droit de préemption et accordé une importante subvention, a assuré le succès de cette opération exemplaire. Parmi les exemples récents de cette coopération institutionnelle, comment ne pas citer également le sauvetage des archives de l’entreprise Moulinex grâce à la collaboration instaurée entre les services des archives départementales concernés.

Par ailleurs, contrairement à d’autres pays, comme l’Espagne, la France n’a jamais imposé, dans un souci de contrôle, une déclaration obligatoire aux dé- tenteurs d’archives privées. En revanche, elle leur propose, depuis 1938, à l’instar du dispositif en vigueur pour les monuments historiques, des mesures de protection. Si des dispositions autoritaires peuvent être imposées, – le classement d’office – la négociation et la persuasion sont toujours préférées à la coercition.

Le classement des archives comme archives historiques entraîne l’imprescriptibilité des biens concernés et assimile ainsi leur statut à celui des trésors nationaux, dont la sortie définitive du territoire est interdite. Pour autant, et il est important de le souligner, il ne vaut en aucun cas transfert de propriété à l’Etat. S’il impose au propriétaire un certain nombre de contraintes (interdiction de traitement et de modification sans l’autorisation de l’administration, qui dispose d’un droit de préemption et doit être informée de tout projet de transfert ou d’aliénation), le classement vaut label d’excellence. A ce titre, il peut, dans certains cas, être accompagné d’aides de l’Etat, en matière de mise en valeur scientifique ou de conservation matérielle. La loi ne prévoit aucune contrepartie en matière de communication. Contrairement à un monument historique, assujetti à un certain nombre de jours d’ouverture au public, rien ne contraint en effet le propriétaire d’archives classées à les communiquer aux chercheurs, même s’il est vivement encouragé à le faire.

A ce jour, quarante-sept fonds ou documents isolés ont fait l’objet d’une mesure de classement. C’est encore peu, en comparaison des objets ou des monuments classés qui se comptent par milliers. Depuis 2001, des actions de sensibilisation en direction des propriétaires ont permis le classement de plus d’une dizaine de fonds, dont l’origine et le contenu témoignent d’une grande diversité: archives de la maison d’édition Hachette, de l’astronome Camille Flammarion, du château de Serrant, archives du Parti communiste français, papiers Lafayette et Laval de la Fondation Josée et René de Chambrun, archives du château de Breteuil, fonds de la Société des missions évangéliques de Paris, archives du château de FlaugerguesJoux (Christine de), «Les archives saisies par le droit», Actes du colloque Les Archives au fil du temps; Paris, Fondation Singer-Polignac, 26 février 2002, pp. 163–170..

La nécessité de partenariats

S’il existe des partenariats suscités, parfois ponctuellement, dans des situations de crise, par la volonté de sauvegarder des archives menacées, d’autres relations, plus pérennes, ont pu se développer entre les services d’archives, les producteurs, les chercheurs et d’une manière générale, les représentants du monde associatif. 

Il est vrai aussi que dans l’éventail documentaire qui s’offre à lui, parmi la multitude des organismes et structures qui existent, l’archiviste, avec les moyens limités qui sont les siens, ne peut être présent sur tous les chantiers et qu’un risque existe d’une déperdition partielle de notre mémoire. C’est à partir de ce constat que la direction des Archives de France a développé depuis plusieurs années des actions de coopération avec les structures privées qui militent pour la conservation des archives des associations. En premier lieu, elle a réalisé un manuel sur les archives des associations en 2001 à l’occasion du centenaire de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’associationLes archives des associations, approche descriptive et conseils pratiques, coord. Armelle Le Goff, Paris, La Documentation française, 2001; Cent ans d’association au miroir des archives, actes du colloque de Nantes, 26–28 septembre 2001, La Gazette des archives, n° 192..

Partenariats traditionnels

Les quelques exemples précédemment cités de classements de fonds privés illustrent la vigueur des partenariats mis en place avec les détenteurs de ces archives. Cette coopération s’inscrit en premier lieu dans une tradition de rapports suivis avec les détenteurs d’archives familiales.

La France compte en effet des centaines de fonds historiques encore en mains privées, tantôt jalousement dissimulés à la curiosité des historiens, tantôt communiqués avec générosité, parfois mis en valeur avec soin, mais parfois également livrés à la plus totale incurie, mis en péril par le jeu des successions ou menacés de démembrement par un marché de l’autographe et du document ancien devenu particulièrement actif et offensif.

Il n’en demeure pas moins que, traditionnellement, on observe une certaine réticence des propriétaires de ces archives vis-à-vis des initiatives de l’autorité publique, perçues parfois comme autant d’ingérences intolérables. C’est pourquoi la création, en 2000, de l’Association française pour la protection des archives privées (AFPAP) est apparue comme une ouverture et une invitation à un dialogue constructif, fondé sur une meilleure connaissance mutuelle des partenairesQuinsonas (Odon de), «Création de l’Association française pour la protection des archives privées (AFPAP)», La Demeure historique, 3e trim. 2000, pp. 42–44.. C’est dans ce contexte que la direction des Archives de France a pu développer une politique volontariste de collaboration fondée sur la confiance qui a abouti, ces dernières années, à plusieurs demandes de classement de fonds comme archives présentant pour l’histoire un intérêt public, conformément aux dispositions du code du patrimoine.

La coopération avec l’AFPAP témoigne de la solidité du dialogue déjà ancien engagé entre services publics d’archives et détenteurs d’archives familiales; parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui, en raison de leurs traditions, leur formation ou leur intérêt pour l’histoire en général, se sont toujours attachés à la sauvegarde de leurs papiers de famille et ont manifesté le souci d’en éviter la dispersion.

Nouveaux partenariats

En revanche, les dernières décennies ont été marquées par l’irruption de nouveaux acteurs qui militent pour la sauvegarde des archives de telle ou telle activité de la société et avec lesquels les archivistes ont du apprendre à compter. Les raisons de ce phénomène sont multiples: développement du secteur associatif, plus grande sensibilisation des détenteurs d’archives privées à l’intérêt présenté par leurs papiers en termes de reconnaissance publique mais également en termes de communication, diversité de la recherche scientifique, soucis identitaires...

Cette évolution a caractérisé peut-être en premier lieu le secteur économique avec notamment le besoin ressenti par les grandes entreprises de valoriser leur patrimoine, songeons aux réalisations déjà anciennes de Saint-Gobain ou à des projets plus récents, comme ceux de la famille de Wendel.

A ce titre, l’archiviste ne peut que se réjouir de cet effort mémoriel qui témoigne d’un plus grand souci de la conservation de la mémoire des différents secteurs d’activité de la société. Phénomène nouveau mais qui n’a cessé de se développer; sont apparues au cours des dernières années des associations dynamiques qui militent activement désormais pour la conservation de la mémoire de structures ou de secteurs d’activité menacés ou non de disparition. Une caractéristique de ce mouvement tient à la prise en main par le citoyen de la conservation de la mémoire d’une usine, d’un canton, d’une structure associative, l’appropriation d’une part de la mémoire collective qui est aussi une part de la mémoire de l’individu. Il s’agit de conserver le souvenir d’un carreau de mine, d’un chantier de construction navale, d’une activité manufacturière. Dans ce domaine, les restructurations économiques auxquelles la France comme la plupart des anciens pays industriels a été confrontée, songeons à la sidérurgie ou au textile ou encore aux charbonnages, font parfois des archives un véritable enjeu: la possession physique des papiers et leur conservation dans les lieux où ils ont été produits restent le dernier témoignage d’un passé révolu et disparu dans la violence parfois, les luttes sociales et l’amertume. Parmi tant d’exemples, rappelons la révolte des syndicats et des élus de Tonneins à l’annonce du prochain transfert des archives de la manufacture des tabacs de leur ville, décidé par un groupe désormais privatisé ou à la mobilisation des anciens mineurs pour la conservation des archives des puits de mines à Lewarde et la création d’un musée minier ou encore celle des ouvriers des chantiers navals à l’origine de la création de French Line et de son centre d’archivesLa construction navale et sa mémoire, archives et patrimoine, actes des journées d’études tenues à Rouen, Archives départementales de la Seine-Maritime, 28-29 novembre 2002, Rouen, Archives départementales de la Seine-Maritime, 2005.. La mobilisation des élus rejoint celle des militants pour exiger la conservation sur place des documents, au détriment parfois d’une saine gestion de ces derniers. Les archives sont ainsi devenues un enjeu mémoriel non dépourvu de préoccupations touristiques.

Le développement du phénomène tient également aux difficultés éprouvées par le réseau officiel des archives à assurer la sauvegarde de la mémoire tout entière de la Nation. L’archiviste a du accepter, faute de place, faute d’anticipation également, en raison du poids du traitement des versements administratifs contemporains, de n’être plus seul désormais à prendre en charge la mémoire collective et de partager les tâches de recensement, de collecte et parfois de conservation. L’évolution de la société et son orientation libérale, la transformation des institutions n’ont fait qu’accentuer le phénomène. A une époque où la sauvegarde des archives privées ne mobilisait pas ses détenteurs, l’administration des archives a œuvré sans véritable concurrence; de nos jours, elle doit compter avec de nouveaux partenaires.

L’initiative en ce domaine vient également du secteur public. Le réseau des archives doit défendre ses prérogatives dans le domaine des archives privées vis-à-vis d’autres structures patrimoniales publiques comme les bibliothèques et les musées. A ce titre, les services publics d’archives se retrouvent en situation de véritable concurrence de fait avec telle ou telle institution, ancienne ou de création plus récente, qui se spécialisant ou se réorientant dans un domaine de la recherche, s’efforce de collecter des archives comme, à titre d’exemple, la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine à Nanterre ou l’Institut Français d’Architecture devenu la Cité de l’Architecture et du PatrimoineRamière de Fortanier (Arnaud), «Les fonds d’architecte», Actes du colloque Les Archives au fil du temps; Paris, Fondation Singer- Polignac, 26 février 2002, pp. 109–117; Ollion (Michel) et Ragot (Gilles), «Les archives d’architecture», La Pratique archivistique française, Paris, Archives nationales, 1993, pp. 90–91; Archives d’architecture, état des fonds, XIXe–XXe siècles par Sonia Gaubert et Rosine Cohu sous la direction de David Peycéré et de Gilles Ragot, Paris, Direction des Archives de France, 1994.. Ce dernier exemple illustre suffisamment les nouvelles préoccupations qui se font jour mais également leurs limites; il y a une vingtaine d’années, des associations régionales se sont constituées afin de protéger les fonds des architectes, souvent voués à la destruction, et une campagne a été lancée auprès des grands architectes ou de leurs descendants tandis qu’un projet de centre thématique aboutissait à la création, par le Ministère de la culture, de l’IFA. Ces associations régionales, plus ou moins actives, ont ainsi favorisé le don ou de dépôt de nombreux fonds dans les services territoriaux d’archives mais ces derniers ont été rapidement confrontés aux difficultés de traitement liées au volume de ces fonds ainsi qu’au caractère technique des pièces qu’ils contiennent. Aujourd’hui, les services d’archives ont tendance à limiter l’entrée de ces fonds tandis que l’Institut Français d’Architecture, intégré à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine rencontre également des problèmes de place et de traitement des fonds1.

A côté des institutions publiques se sont constituées des structures spécialisées dans la conservation d’archives thématiques et qui ont engagé, en coopération ou non avec les archives publiques, la collecte de papiers privés, ceux des hommes politiques par la Fondation nationale des sciences politiques, ceux des entreprises d’édition avec l’IMEC (Institut Mémoire de l’Edition Contemporaine), créé en 1988 ou encore ceux des mouvements étudiants par le GERME (Groupe d’Etudes et de Recherche sur les Mouvements Etudiants)2. D’autres exemples pourraient être cités.

Le réseau des archives publiques est désormais confronté à la multiplication de ces intervenants dans le secteur des archives privées avec lesquels il s’efforce d’entretenir des relations confiantes et des partenariats fructueux qui vont du soutien méthodologique à la prise en charge matérielle de la conservation des fonds collectés. Un partage des rôles se dessine ainsi: aux structures associatives revient le soin de recenser et de collecter, au réseau des archives publiques celui de conserver et de communiquer. En certains domaines en effet, l’archiviste doit trouver des relais, des intermédiaires, qui connaissent les structures, les réseaux, sachent mieux que les agents des archives sensibiliser les producteurs et obtenir le dépôt ou le don de leurs papiers dans les dépôts publics, qui, enfin, puissent vaincre la méfiance qui, dans le milieu associatif notamment, s’exprime parfois à l’encontre de l’administration, y compris l’administration des archives dont les motivations sont souvent mal comprises. De multiples exemples peuvent être ainsi recensés d’une telle méfiance, exprimée plus ou moins nettement comme dans le domaine des archives des associations militant dans l’accueil des immigrés, des organismes œuvrant dans le domaine de l’éducation spécialisée ou de l’éducation populaire. Bien évidemment l’action de tel ou tel archiviste, sa sensibilité et ses centres d’intérêt personnel peuvent, de façon ponctuelle, faciliter le dépôt de ces archives; il n’en demeure pas moins que pour mettre en œuvre une politique d’envergure, la présence d’une structure nationale apparaît indispensable.

Ces associations relais sont souvent constituées de militants, de professionnels ou d’anciens professionnels, d’historiens soucieux de conserver la mémoire des organismes au sein desquels ils ont travaillé et milité, d’en assurer la conservation et la sauvegarde. A une époque marquée par une évolution rapide et une transformation des modes de travail, la transmission du souvenir des expériences professionnelles et des politiques publiques passées acquiert la dimension d’un véritable enjeu de même que la volonté d’assurer l’exploitation de cette mémoire menacée et fragile, par les chercheurs, universitaires ou non.

C’est parce que le CNAHES/CAPEA (Conservatoire National des Archives et de l’Histoire de l’Education Spécialisée, Centre des Archives de la Protection de l’Enfance et de l’Adolescence) s’est constitué qu’a pu être ainsi lancée une campagne de sauvegarde des archives de l’éducation spécialisée; elle a permis une abondante collecte de fonds mal connus des professionnels des archives, collecte qui dépasse de nos jours le kilomètre linéaire. Citons encore l’exemple du PAJEP (Pôle de conservation des Archives des associations de Jeunesse et d’Education Populaire), créé en 19993ou encore le partenariat fructueux établi avec l’association Génériques pour la sauvegarde des archives de l’immigration. Dans ce dernier cas, sur la base d’un partenariat qui s’est traduit par la publication d’un guide monumental des sources sur les archives des étrangers en France, cette association est devenue une médiatrice indispensable entre le réseau des archives publiques et les associations liées à l’accueil des étrangers et à l’immigration. En effet, elle dirige vers les services publics d’archives concernés les fonds dont elle assure le recensement, la sauvegarde et un premier récolement. Incontestablement, le réseau des archives ne disposait pas des moyens de toucher ces structures sinon de façon occasionnelle; l’intervention de Génériques permet ainsi la sauvegarde d’archives précieuses pour la compréhension de notre société contemporaine.

Enfin, pour prendre un dernier exemple, celui des archives des partis politiques et des syndicats, le succès d’une campagne de collecte est lié à l’initiative ou à l’accompagnement des structures dirigeantes des organismes concernés; c’est ainsi que le dépôt des archives du Parti communiste français au niveau national aussi bien qu’à celui des fédérations départementales, n’aurait pu se traduire dans les faits sans l’impulsion donnée par les responsables du parti.

La reconnaissance d’une coopération fructueuse

Le réseau officiel des Archives publiques, la direction des Archives de France, les Archives nationales ainsi que les services territoriaux, ont pu parfois s’offusquer de l’activité de ces structures, de leur activisme, éprouver parfois le sentiment d’une véritable dépossession, considérant qu’il leur appartenait et à eux seuls de collecter des archives. Les attitudes ont toutefois évolué et la notion de partenariat l’a emporté sur celle de concurrence même si des difficultés subsistent. Une nécessaire coopération s’est imposée aux uns comme aux autres, les services publics d’archives ont reconnu ne pas pouvoir être présents sur tous les champs d’action et ont accepté de passer par le relais de structures associatives. Quant à ces dernières, après avoir lancé des campagnes de sensibilisation et de collecte, elles n’ont pas tardé à rencontrer des problèmes de stockage et de gestion matérielle des fonds collectés qui les ont conduites à se retourner vers la direction des Archives de France ou vers le réseau des archives publiques pour trouver des locaux de stockage, effectuer le traitement des fonds et leur communication: ainsi, les archives du PAJEP sont-elles hébergées dans les bâtiments des archives départementales du Val-de-Marne, celles du CNAHES/CAPEA le sont aux Archives nationales du monde du travail à Roubaix.

Cette coopération s’est parfois imposée après plusieurs années d’existence séparée mais là encore une évolution se dessine; la coopération précède désormais la collecte: c’est parce qu’un partenariat avait été établi avec la direction des Archives de France que la Fondation de la Résistance et la Fondation pour la Mémoire de la Déportation ont engagé une campagne de collecte de documents de la Seconde Guerre mondiale auprès des anciens témoins, campagne qui, actuellement, a déjà porté sur plus d’un tiers des départements. C’est parce qu’une convention de coopération avait été signée avec la direction des Archives de France que l’Académie Nationale Olympique Française lance, en 2007, une campagne de sauvegarde des archives du monde sportif.

Dans ces actions de partenariat multiples, la direction des Archives de France reste soucieuse de maintenir la notion de réseau, réseau qui associe les Archives nationales mais également les archives territoriales, les archives départementales et les archives communales. Autant la direction des Archives de France, toujours attachée à maintenir la vitalité du réseau des archives publiques, soutient les initiatives et le lancement de campagnes de collecte d’archives des structures privées, autant elle souhaite éviter la constitution de pôles d’archives thématiques regroupant l’ensemble des archives à caractère national et territorial d’un secteur, susceptibles d’appauvrir le réseau territorial des archives et d’être vécus par ce dernier comme une véritable dépossession.

Elle estime en effet qu’en dépit des évolutions politiques et administratives, seul un réseau dynamique et cohérent peut répondre au défi de la «balkanisation» des archives et éviter que les services d’archives ne se trouvent réduits à la collecte et à la conservation des seules archives administratives. Cette politique a pu susciter des réserves de la part de certaines composantes de la communauté scientifique qui trouvent des avantages à la constitution de pôles thématiques; il en va pourtant de la cohérence du réseau. La direction des Archives de France considère qu’il serait contraire à la logique en effet de contraindre les chercheurs à effectuer de longs trajets afin de pouvoir consulter à l’autre bout du pays des documents produits dans un cadre strictement local. A une époque marquée par le souci de la décentralisation, la concentration des documents dans un lieu unique constituerait une anomalie. Les campagnes ainsi lancées récemment ont toujours privilégié le réseau des archives en prévoyant le dépôt ou le don des fonds d’envergure nationale, les papiers des sièges centraux des associations ou ceux des personnalités ayant joué un rôle incontestablement national, dans les Archives nationales et ses différents sites et en aiguillant vers les services d’archives territoriaux les fonds d’archives, régionaux, départementaux ou locaux. Au demeurant, les techniques de communication permettent de nos jours de rassembler les sources de façon virtuelle et d’assurer une complète information des chercheurs.

Les archivistes français mesurent pleinement l’intérêt des archives privées dans la constitution de la mémoire collective. Après avoir cru, dans un premier temps, pouvoir gérer seuls ces archives, l’exemple de Roubaix en constitue une illustration significative, ils s’orientent de nos jours vers des actions de partenariat concerté et responsable avec les structures associatives qui militent chacune dans leur domaine propre, pour la conservation et la mise en valeur des archives d’un secteur déterminé. La diversité des exemples évoqués précédemment illustre la richesse de ces partenariats nouveaux, leur absolue nécessité si l’on veut conserver des pans entiers de la mémoire de la société qui risqueraient sinon de disparaître ou de subir des altérations définitives. Cependant on peut légitimement se demander si l’équilibre ainsi obtenu pourra être maintenu dans les années qui viennent avec l’émergence de plus en plus marquée du phénomène identitaire.

En dépit de ces efforts, de la sensibilisation des détenteurs, force est de constater encore la disparition, le démembrement et la dispersion de fonds privés particulièrement importants ou prometteurs pour le chercheur, victimes de la négligence, de l’ignorance, des appétits de lucre et de la passion de leurs détenteurs, des collectionneurs et du marché. Ces risques auxquels sont confrontés tout archiviste légitime sans doute à notre époque la recherche de nouveaux partenariats et le renforcement de ceux qui existent déjà avec tous ceux qui consacrent leur énergie à la défense du patrimoine écrit.

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Pascal Even

Archiviste au Département de la politique archivistique et de la coordination interministérielle Direction des Archives de France Paris

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Christine de Joux

Archiviste au Département de la politique archivistique et de la coordination interministérielle Cellule des archives privées Direction des Archives de France Paris

  • 1 Aux termes de la coopération mise en place entre la direction des Archives de France et l’Institut Français d’Architecture, les fonds d’architectes sont donnés à l’Etat et remis aux services d’archives compétents territorialement après traitement et classement assuré par l’IFA. Les activités de ce dernier font l’objet d’une subvention du Ministère de la culture, à la fois direction des Archives de France et direction du patrimoine et de l’architecture. La réflexion engagée au sein des archives sur la localisation des archives d’architecture dans la perspective de la création du site francilien des Archives nationales ainsi que les aléas de la signature d’une convention entre la direction des Archives de France et la CAPA illustrent les difficultés suscitées par l’articulation des politiques publiques.
  • 2 Archives et mémoires étudiantes, état des lieux, La Gazette des archives, nouvelle série, n° 193, année 2002.
  • 3 Le PAJEP a établi un partenariat avec les Ministères de la santé et de la culture ainsi qu’avec le Conseil général du Val-de-Marne et l’ADAJEP (Association des déposants aux archives de la jeunesse et de l’éducation populaire). Cf. Vadelorge (Loïc), Sourice (Gaétan) et Rivoire (Stéphanie), «Le rôle de conservation des archives des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire (PAJEP)», Culture et Recherche, n° 111, printemps 2007, pp. 2–4.