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2006/1 Memopolitik – vom Umgang mit dem Gedächtnis der Gesellschaften

Quelques secrets de l’Egypte ancienne à portée de «clic». La collection de papyrus de la BPU – Genève

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La Bibliothèque publique et universitaire (BPU) de Genève peut se vanter non seulement de posséder un fonds d’archives parmi les plus anciennes – des textes rédigés sur papyrus dans plusieurs langues anciennes (hiéroglyphes, démotique, grec essentiellement, latin, hébreu, etc.) et couvrant plus de mille ans d’activité (du IVe siècle av. J.-C. au VIIe siècle de notre ère) –, mais de se doter d’outils informatiques à la pointe pour mettre une partie du contenu et surtout les reproductions de ces documents à disposition du public, des chercheurs autant que des simples curieux.

L’existence d’une collection de papyrus à la BPU de Genève est un secret – trop – bien gardé. Pourtant, cette collection représente un élément non négligeable du patrimoine ancien conservé par cette institution. La situation pourrait graduellement changer grâce à l’ouverture d’un site qui permet au grand public comme aux spécialistes d’accéder à des trésors parfois vieux de deux millénaires1.

Encore faut-il savoir ce qu’implique le mot papyrus dans ce contexte: il évoque l’Egypte, certes, mais pas nécessairement celle que l’on imagine, puisqu’il s’agit principalement du pays d’après les pharaons, c’est-à-dire un royaume dominé par des rois grecs, la dynastie des Ptolémées, puis une province romaine. En d’autres termes, depuis l’arrivée d’Alexandre le Grand en 332 av. J.-C. jusqu’à celle des Arabes en 642 ap. J.-C., soit pendant près d’un millénaire, l’Egypte a été un pays où le grec constituait la principale langue de communication écrite. D’autres langues y étaient pratiquées, tout en laissant moins de traces dans les témoignages écrits: l’égyptien, mais aussi le latin et l’araméen.

Fabriqué à partir de la plante du même nom, le papyrus était alors le principal support d’écriture utilisé non seulement en Egypte, mais aussi dans la majeure partie du monde méditerranéen. Cependant, alors que l’humidité des sols a détruit les papyrus dans d’autres régions, le sable de l’Egypte a permis la conservation de dizaines de milliers de documents, plus ou moins fragmentaires, qui ont en fin de compte trouvé leur chemin jusqu’à des collections d’Europe et d’Amérique du Nord.

Plus que d’autres villes de Suisse, Genève a été marquée par l’intérêt que ses savants ont porté à la découverte de l’Orient au cours des deux siècles qui viennent de s’écouler. Pour notre propos, on se contentera de relever le nom de deux personnages d’exception, tous deux actifs à la fin du XIXe siècle: tout d’abord Edouard Naville, égyptologue de réputation internationale et professeur à l’Université; ensuite Jules Nicole, titulaire de la chaire de grec ancien.

C’est Edouard Naville qui, tandis qu’il menait des activités de fouilles en Egypte, s’est rendu compte que les antiquités égyptiennes ne se limitaient pas à la période des pharaons. Parmi les objets que lui proposaient les antiquaires figuraient en effet de nombreux papyrus. Dès 1882, il a ainsi fait l’acquisition de plusieurs pièces, et les a tout naturellement confiés à son collègue helléniste Jules Nicole. Ce dernier a mis six ans avant d’en commencer la publication, avec tout d’abord des fragments d’un poème d’Hésiode (VIIe s. av. J.-C.) intitulé Les Travaux et les Jours.

Les textes des papyrus

À partir de cette première impulsion de 1888, le mouvement est lancé: Jules Nicole publie régulièrement des textes qu’il a déchiffrés sur les papyrus que lui fournit Edouard Naville lors de ses voyages en Egypte. Jules Nicole lui-même fera aussi le voyage et il ramènera des papyrus, mais en quantité plutôt limitée. Parmi les pièces acquises par l’un ou par l’autre des savants figurent parfois des textes littéraires, dont certains ne nous ont pas été transmis par les copistes du Moyen Age. Par conséquent, les trouvailles papyrologiques permettent à des érudits chevronnés de restituer des textes que l’on considérait comme définitivement perdus, et que les sables de l’Egypte ont miraculeusement conservés. Jules Nicole ressuscite ainsi quelques passages de l’Apologie d’Antiphon, une défense produite par un politicien athénien compromis dans un coup d’Etat. Dans les mêmes années, un jeune Anglais du nom de Frederic Kenyon reconstitue un rouleau en recollant près de deux cents pièces de papyrus; il publie des Épinicies de Bacchylide, un poète un peu oublié qui pourtant avait rivalisé avec le grand Pindare.

Mais les textes littéraires nouveaux constituent en fait une portion très faible du matériel retrouvé parmi les papyrus d’Egypte. La masse la plus importante est constituée de textes dits documentaires: lettres privées, contrats, pétitions, registres, c’est-à-dire tous les documents que les Egyptiens de la période gréco-romaine devaient produire pour assurer le fonctionnement de leurs activités quotidiennes. Ces documents, par leur quantité extraordinaire, permettent aux historiens de se plonger dans la vie quotidienne des habitants d’une région du monde antique avec un luxe de détails introuvable ailleurs.

La collection prend corps

Grâce à l’aide de son collègue Edouard Naville, Jules Nicole a pu se constituer d’abord une collection privée de près de quatre-vingts pièces. Ensuite, aidé par une souscription publique, il a aussi fait l’acquisition de quelques centaines de papyrus pour le compte de la BPU. En 1917, se sachant malade, Jules Nicole a fait don de sa collection privée à la BPU. Celle-ci regroupe, dès les origines de la collection papyrologique, deux ensembles d’une qualité remarquable, même si par la quantité ils ne soutiennent pas la comparaison avec d’autres grandes institutions européennes: les Britanniques de l’Egypt Exploration Society disposent de plusieurs dizaines de milliers de papyrus, tout comme les Autrichiens de la Bibliothèque Nationale de Vienne ou les Allemands des Musées de Berlin. Il n’empêche que Genève, pour s’être engagée très tôt dans l’acquisition de papyrus, figure parmi les villes pionnières dans cette discipline.

La BPU poursuit d’ailleurs les achats, mais sur une base plus modeste car les prix ne cessent de grimper. On peut noter des acquisitions autour de 1920, puis à nouveau vers 1950. Quelques pièces tirées plus récemment de cartonnages de momies ont encore renforcé l’intérêt de la collection. Toutes catégories confondues, les papyrus de la BPU constituent un fonds de près d’un millier de piècesIl convient de rappeler que la BPU n’est pas la seule institution genevoise à posséder des papyrus: la Fondation Martin Bodmer, établie à Cologny (Genève), possède en effet plusieurs codex célèbres, dont notamment celui contenant trois pièces presque complètes du comédien Ménandre. http://www.fondationbodmer.org..

Du catalogage erratique à un outil de recherche

Depuis les premiers travaux de Jules Nicole, tous les titulaires de la chaire de grec à l’Université de Genève ont été engagés, à des titres divers, dans la publication des papyrus de Genève conservés à la BPU. Dès l’époque de Victor Martin, successeur de Jules Nicole à la chaire de grec, tous ont aussi participé à la publication des papyrus de la Fondation Bodmer. Mais le parallèle s’arrête là: en effet, les papyrus Bodmer, au nombre d’une cinquantaine, sont désormais publiés et recensés; des papyrus de la BPU, en revanche, seules environ deux cents pièces ont fait l’objet d’une publication. Le travail se poursuit néanmoins, dans le cadre d’un projet de recherche financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifiqueProjet de recherche réalisé par Mmes Sarah Gaffino Möri, Noemi Poget Kern et Sophie Gällnö, sous la direction de Paul Schubert..

De plus, il n’existait qu’un catalogue incomplet, réalisé en 1973 par un élève de Victor Martin, l’helléniste et latiniste Claude Wehrli. Ce dernier avait produit un inventaire dactylographié des pièces achetées par la BPU par souscription, mais n’avait pas inclus les papyrus de la collection privée de Jules Nicole, dont plusieurs restent inédits à ce jour. Les pièces provenant de cartonnages de momies manquent aussi au catalogue de Claude Wehrli.

Les lacunes du catalogage rendaient un travail systématique de publication très difficile. L’idée s’est donc imposée en 2001 de créer – grâce à un subside du Fonds national suisse de la recherche scientifique – un outil qui, dépassant le simple inventaire, permettrait de travailler sur la collection de manière productive: ouvert aux chercheurs extérieurs, il faciliterait aussi les liens avec d’autres outils similaires disponibles pour d’autres collections européennes et américainesProjet de recherche réalisé par Mmes Christelle Fischer, Sarah Gaffino Möri et Isabelle Jornot, sous la direction de Paul Schubert..

Constitution de la base de données

Dès sa mise en chantier, le projet reposait sur une base de données électronique, destinée à être ultérieurement consultée sur le web par les chercheurs du monde entier. Il s’agissait de créer un outil qui fournisse à chacun les renseignements élémentaires permettant à la fois de se repérer dans la collection et de construire des liens avec des documents présents dans d’autres collections. Rappelons à ce propos que les papyrus sont le plus souvent arrivés dans les bibliothèques et musées d’Europe et d’Amérique par le biais du commerce des antiquités. Par conséquent, certains lots à l’origine cohérents ont été dispersés par les marchands, sans qu’il soit toujours possible de retracer leur parcours. Il n’est pas rare qu’un fragment de papyrus puisse être complété par une pièce se trouvant à des centaines de kilomètres de distance. Pour établir les liens, on doit donc disposer d’inventaires permettant de repérer des contenus semblables, ou des correspondances géographiques, chronologiques ou paléographiques.

Pour parvenir à ce but, des tâches très variées attendaient l’équipe de recherche:

– Recenser tous les papyrus de la collection, sur la base des inventaires partiels et par l’examen des pièces originales.

– Intégrer et vérifier toutes les données déjà disponibles.

– Compléter le catalogue en introduisant les pièces non répertoriées, en les décrivant aussi précisément que possible (écriture, date, provenance, contenu, etc.). Cette étape peut s’avérer particulièrement difficile lorsqu’il s’agit de documents fragmentaires ou écrits par des mains très cursives.

–  Photographier l’ensemble de la collection.

–  Repérer toutes les éditions de textes déjà disponibles, ainsi que les corrections ultérieures apportées par des savants dans la littérature spécialisée.

Dès le début de la constitution de la base de données, l’équipe a été confrontée à la question délicate de l’interface future qui permettrait la consultation de l’outil sur le web. Il existe en effet d’autres instruments comparables, dont le plus remarquable est probablement celui que l’on désigne par l’acronyme APIS (Advanced Papyrological Information System)2. Cette base de données couvre la plupart des collections de papyrus conservés en Amérique du Nord, ainsi que quelques collections européennes. Par le biais d’un site web, l’utilisateur peut accéder en tout temps à un catalogue complet, comprenant une description de chaque pièce, un texte en langue originale, une traduction, ainsi que divers liens, notamment vers divers autres instruments indispensables à tout chercheur engagé dans des travaux de nature papyrologique.

Dans le cas de la base de données genevoise, on aurait pu envisager une intégration totale dans la structure d’APIS. Mais les normes de saisie des données sont d’une complexité telle qu’il aurait fallu engager un spécialiste en méthodes informatiques de bibliothéconomie qui maîtrise les normes MARC de manière approfondie. Le subside accordé n’aurait pas permis cela, raison pour laquelle il a paru plus prudent de s’en tenir à une approche moins ambitieuse en ce qui concerne la programmation, mais aussi beaucoup plus souple en cas de changement du support informatique. L’équipe a donc opté pour un support FileMakerPro® d’une grande simplicité pour la saisie des données. L’interface de consultation publique en revanche a été mise au point par un informaticien de la Ville de Genève. Elle peut être adaptée en tout temps en fonction des besoins, sans changement pour la base de données proprement dite. De plus, pour chaque papyrus, elle inclut des liens directs avec d’autres bases de données globales.

La collection papyrologique de la BPU continue de croître

La constitution d’une base de données des papyrus genevois a eu pour conséquence imprévue de révéler l’existence de nouveaux documents qui avaient été oubliés au fond des réserves. C’est ainsi que l’équipe de recherche a eu la surprise de découvrir des boîtes métalliques dans lesquelles avaient été acheminés les papyrus acquis par Jules Nicole à la fin du XIXe siècle. Il s’est avéré que seules les pièces les plus intéressantes avaient été nettoyées et mises sous verre. Les boîtes contenaient une grande quantité de fragments, datant pour la plupart du Bas Empire romain (IVe–VIIIe s. ap. J.-C.). La langue grecque est la mieux représentée, mais on trouve aussi dans ce lot des papyrus en copte (la langue égyptienne de l’ère chrétienne), et même en arabe.

En outre, une boîte métallique de grand format a livré un contenu des plus surprenants, sous la forme de textes provenant de la Genizah du Caire, c’est-à-dire d’un dépôt de textes attaché à la synagogue. Des documents s’y étaient accumulés entre le XIIIe et le XIXe siècle, avant que les Britanniques ne s’approprient le contenu du dépôt: des dizaines de milliers de textes ont ainsi été transférés à Cambridge, mais certains lots beaucoup plus modestes ont trouvé leur chemin jusqu’à d’autres collections, comme c’est le cas des quelques dizaines de pièces dont les Genevois ignoraient jusqu’à l’existence!

La collection papyrologique de la BPU continue donc de vivre. Les papyrus nouvellement redécouverts n’ont pas encore pu être tous intégrés dans la base de données, mais le processus est engagé. En attendant, les chercheurs de Genève et du monde entier disposent d’un instrument de travail déjà très utile pour mieux intégrer la collection de la BPU dans les réseaux de la recherche papyrologique.

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Paul Schubert

Professeur de langue et littérature grecques, Faculté des lettres, Université de Genève