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2006/2 Droit d’auteur – Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (Loi sur le droit d’auteur, LDA)

Les droits d’auteur en France: un aperçu

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L’article tente de faire le point sur la situation en France de la loi sur le «DADVSI» (Droit d’auteur et droits voisins dans la Société de l’Information). Après un bref historique du dispositif national, il rend compte de la difficulté d’application par la France des directives de la Commission européenne et de la lente et difficile mise en forme finale arrêtée tout récemment (21 mars 2006: adoption en première lecture de la loi).

Le domaine de la musique est privilégié volontairement, suivant en cela l’actualité des grands quotidiens français alors que ceux du cinéma et du livre ne sont qu’évoqués.

La «licence globale» permettant un téléchargement légal sur Internet en contrepartie d’un paiement devait faire figure d’exception dans le paysage mondial de l’information. Le Parlement français a finalement fait le choix d’une loi réprimant définitivement la mise sur le marché de logiciels «peer to peer», condamnant en cela davantage les éditeurs que les internautes.

En France comme partout dans les pays concernés par la Société de l’Information, le renouvellement de l’environnement technique, la numérisation et l’interconnexion des réseaux placent dans le débat public le droit de la propriété intellectuelle. La mutation numérique bouleverse les processus de production, de communication, de distribution et de consommation de biens immatériels, notamment culturels.

Dans le même temps, on assiste à une accélération de l’appropriation privée dans tous les domaines de la création et de l’information, et l’importance des enjeux conduit les responsables politiques à repenser l’évolution du droit. Le cadre juridique national actuel se révèle insuffisant face à la montée en puissance de la Société de l’Information.

Après un bref rappel des différentes lois régissant la propriété intellectuelle en France, il est intéressant de voir dans quel sens le pays a réagi ces dernières années à la nécessité de se conformer au droit européen en matière de «DADVSI» (droit d’auteur et droits voisins dans la Société de l’Information) et plus récemment ces dernières semaines dans le débat opposant partisans de la «licence globale» et partisans des MTP (mesures techniques de protection), adeptes de la répression du fameux «peer to peer».

L’historique

Le principe de la protection du droit d’auteur est posé par l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI): «l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial».

Ainsi, le droit d’auteur dans le droit français confère à son titulaire une propriété lui permettant de déterminer les conditions d’exploitation de son œuvre avec comme prérogatives d’une part, des droits patrimoniaux qui lui permettent d’autoriser les différents modes d’utilisation de son œuvre et de percevoir en contrepartie une rémunération, et d’autre part des droits moraux dont l’objectif est de protéger la personnalité de l’auteur exprimée au travers de son œuvre.

Contrairement au droit moral qui est perpétuel, les droits d’exploitation conférés aux auteurs sont limités dans le temps. Selon l’article L.123-1 du CPI: «L’auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire». La protection persiste au profit de ses ayants droits pendant l’année civile en cours et les soixante-dix ans qui suivent la mort de l’auteur. A l’expiration de ce délai, l’œuvre tombe dans le domaine public et son utilisation est libre sous réserve du respect des droits moraux de l’auteur. L’ensemble de ces droits figure dans le Code de la propriété intellectuelle qui codifie les lois des 11 et 27 mars 1957 et du 3 juillet 1985.

Les lois suivantes relèvent du même souci de «rendre à César ce qui appartient à César»; il s’agit de la Loi du 1er juillet 1992 relative au Code de la propriété intellectuelle et de la Loi du 3 janvier 1995 relative à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie.

La Loi du 27 mars 1997 affirme l’obligation de la transposition dans le CPI des directives du Conseil des communautés européennes. La protection des données est un souci partagé (Loi du 1er juillet 1998) et renforcé par l’ère nouvelle du numérique. La signature électronique fait son apparition (Loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique). 

L’Union européenne

Le 9 avril 2001 est une date décisive pour les pays de l’Union européenne puisque ceux-ci adoptent la directive du Conseil et du Parlement européen relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la Société de l’Information (application du régime juridique du droit d’auteur au contexte de la reproduction numérique). Cette directive légitime les technologies anticopies ou DRM (Digital Right Management) en fixant des peines d’amende et de prison dissuasives. Après sa publication, les Etats membres ont 18 mois pour transposer la directive dans leur droit natio- nal. Celle-ci concerne les droits de reproduction, les droits de distribution ainsi que les droits de communication au public et protège les auteurs, les exécutants, les radiosdiffuseurs, les producteurs de disques et de films.

Sur cette période, la SACEM, société française chargée de la collecte et de la gestion des droits d’auteur, va s’allier à quatre sociétés d’auteur de différentes nationalités pour protéger le droit des créateurs sur Internet et va expérimenter avec une dizaine d’autres l’attribution de licences pour l’utilisation de musique en ligne à l’échelle internationale. Ces accords concernant la diffusion sur le réseau, la technique du «streaming» (diffusion en temps réel), le téléchargement et la musique des vidéos disponibles sur Internet posent le problème de la mise au point de normes de sécurisation des œuvres sur le réseau. En effet, certains systèmes de codage sont déjà piratés. Problème: la SACEM est fortement critiquée dans son fonctionnement plus qu’opaque qui, finalement, n’irait pas forcément dans le sens d’une juste rémunération de l’auteur ...

Microsoft de son coté dévoile une de ses avancées technologiques lors du 37e MIDEM (Marché international de la musique): la plate-forme multimédia Windows Media qui permet d’encoder et de lire sur un ordinateur de la musique mais également des films ou tout autre contenu multimédia en intégrant la gestion des droits numériques. En effet, le nouveau logiciel permet aux producteurs et aux maisons de disques de fabriquer des CD protégés contre la copie illégale mais disposant d’une piste supplémentaire dédiée exclusivement à une utilisation sur ordinateur. Le régime de copie privée est sauf et Microsoft peut se vanter de lutter contre les actes de piraterie ...

A l’opposé, les consommateurs de musique revendiquent la liberté de faire partager des œuvres dans le cercle privé mais aussi la liberté d’usage des matériels achetés. De plus, les failles des systèmes de sécurisation et l’évolution constante des technologies ont rendu sceptiques les majors du disque. La principale multinationale du disque, Universal, n’a ainsi opté pour aucune politique de protection particulière. En revanche et alors que le débat se répète pour le DVD, on se dirige vers une véritable protection de ce produit qui est considéré comme le seul domaine offrant des perspectives d’avenir au secteur du cinéma.

L’examen de la Loi au Parlement

Dans ce débat relatif au «DADVSI», la France se positionne en mauvais élève puisque l’examen du texte de loi à l’Assemblée nationale ne se fera que les 20 et 21 décembre 2005 (la directive européenne date de mai 2001 et est elle-même une transposition des accords intervenus dans le cadre de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, ou OMPI, datant de 1996).

La question fondamentale est de savoir comment reconnaître l’identité perpétuée d’une œuvre dans un support technique qui ne donne ni frontières, ni identité stable? La mobilité électronique des œuvres qui efface le principe de leur propriété par leurs auteurs remet en cause le droit d’auteur. On se pose la question de savoir si celui-ci ne serait qu’une parenthèse dans l’Histoire.

Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, va inspirer le projet de loi et mettre en place sur le réseau une sécurité juridique. La copie privée est dans un premier temps autorisée pour cinq personnes au maximum. Le DRM va permettre de lutter contre la contrefaçon à grande échelle et les peines encourues pourront aller jusqu’à 300 000 euros d’amende et trois ans de prison pour les personnes qui fourniraient des informations sur les moyens de contourner un DRM. Cette disposition est mise en place alors que, dans le même temps, aucune obligation de rendre compatible les différents DRM avec le matériel d’écoute ne pèse sur les producteurs et l’industrie informatique. L’accueil par le public de ce dispositif est donc très négatif.

La réponse des députés va dans une direction inattendue pour le ministre: une série d’amendements est adoptée légalisant les échanges de fichiers sur Internet via le «peer to peer». C’est le premier pas vers la «licence globale» ou «légale» permettant, moyennant un paiement, un téléchargement légal sur Internet. Alors que partout dans le monde, Etats et industrie culturelle ont fait le choix d’une politique répressive face à la révolution numérique, le choix de la licence globale représente une exception française.

L’application du principe est complexe: il n’existe pas de mode de répartition proposé et donc pas de garantie de rémunération individuelle. De plus, l’intervention de l’Etat peut s’avérer dangereuse pour la création. Le débat est ouvert pour ou contre cette licence.

Pour certaines associations de consommateur et certains organismes de gestion collective des droits des artistes comme l’ADAMI (société civile qui collecte et redistribue une partie des droits de 35 000 artistes-interprètes, musiciens et comédiens), il s’agit de trouver une réponse réaliste pour pallier l’absence totale de rémunération des ayants droit sur les échanges en «peer to peer», celui-ci étant impossible à interdire.

Pour certains distributeurs indépendants, seuls les artistes disposant d’une notoriété importante comme Madonna, Johnny Hallyday et Jean-Jacques Goldman toucheraient l’essentiel de l’argent de la licence globale puisque d’un point de vue technique, il serait possible de mesurer la fréquence d’échange des différents titres.

De plus, il existerait une crise de l’offre d’artistes en radio et en magasins (ce sont toujours les mêmes artistes qui sont surexposés) que le numérique permettrait de dépasser. Quant aux jeunes artistes, il semblerait que pour eux, le téléchargement gratuit serait trop compliqué et le recours à la licence globale trop complexe.

L’évolution du texte

Le texte du ministre de la Culture va évoluer face à la contre-offensive des partisans de la licence globale vers:

– une offre légale plus abondante,

– un droit essentiel, celui de la copie privée pour soi et ses proches,

– une diminution des sanctions et l’instauration d’un régime gradué et proportionné d’amendes pour les consommateurs opposée aux sanctions lourdes visant les fabriquants de logiciels favorisant le piratage (jusqu’à 3750 euros d’amende pour l’in- ternaute qui procéderait lui-même à la neutralisation d’un sytème de DRM),

– le développement de «l’intéropérabilité», c’est-à-dire la possibilité de lire les œuvres quel que soit le support.

Le monde de l’édition est également touché par le nouveau texte portant sur le «DADVSI»: les éditeurs sont obligés de procéder au dépôt, en faveur des handicapés, d’une version numérisée de tous les livres. De plus, les bibliothèques et les services d’archive sont tenus de retranscrire toutes les œuvres de leurs collections «indisponibles à la vente».

L’article sur la licence globale est finalement retiré le 9 mars et l’examen de la loi se poursuit au Parlement avec l’adoption d’un amendement ouvrant la voie à une interdiction pure et simple de copie pour les DVD. En effet, la copie est considérée comme de nature à entraver une exploitation normale de l’œuvre et ce qu’on appelle la «chronologie des médias» à savoir la sortie en salle, puis en DVD, puis sur des chaînes payantes et enfin sur les chaînes gratuites.

Le ministre crée un collège de médiateurs chargé de «réguler les mesures techniques de protection pour garantir le bénéfice de l’exception pour copie privée».

La loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la Société de l’Information est finalement adoptée en première lecture par les députés le mardi 21 mars. Il en ressort qu’elle sera difficile à appliquer: face aux internautes téléchargeant à des fins personnelles et autres (8 millions à ce jour téléchargent des fichiers musicaux), car une surveillance systématique est exclue, la grande variété de protocoles techniques d’échange de fichiers rendant quasiment impossible la mise en place d’un système unique de surveillance. Face aux éditeurs de logiciels de P2P, car la majorité ne sont pas français.

Le droit d’auteur semble donc être une parenthèse dans l’Histoire. Un certain nombre de philosophes du XVIIIe siècle dont Condorcet considéraient que la propriété d’un individu sur les œuvres était illégitime, voire scandaleuse car personne ne pouvait prétendre s’approprier des idées utiles au progrès de l’humanité. D’autres comme Diderot ou Beaumarchais qui crée la Société des auteurs dramatiques ont œuvré pour faire reconnaître le principe de la propriété originelle des auteurs sur leurs œuvres. Ainsi Beaumarchais réussit-il pour la première fois à faire admettre que l’œuvre théâtrale n’est pas vendue une fois pour toutes, mais qu’elle peut entrainer une rémunération à chaque représentation avec un pourcentage sur la recette.

Le débat entre les internautes qui revendiquent le libre accès au bien culturel, les créateurs qui défendent leur génie propre et les industriels leurs intérêts économiques n’est donc pas nouveau même si le débat se focalise aujourd’hui sur la musique.

Ce qui est nouveau en revanche, c’est qu’avec l’avènement du numérique et plus précisément d’Internet, l’œuvre sur écran n’est plus fermée ni fixée.

L ́exemple de l’Encyclopédie Wikipédia à ce titre est significatif puisque tout un chacun peut composer son texte voire intervenir directement sur un texte dont il n’est pas l’auteur initial.

La grande question est donc de savoir si la question de la propriété littéraire et artistique est caduque ou si elle reste d’actualité et si donc les critères juridiques doivent évoluer avec la technologie.

Plutôt qu’une réponse sèche à l’idée de la licence globale, peut-être aurait-il mieux valu considérer celle-ci comme une solution limitée dans le temps à une pratique de masse (ce à quoi elle prétendait), le temps que se développent des modèles de distribution prenant en compte la demande. Au lieu de cela, La France a fait le choix d’une politique répressive. On verra si la suite des événements lui donnera raison ...

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Véronique-Hanimann Muon

Professeur-documentaliste, Académie de Versailles