Abrégé d’archivistique. Principes et pratiques du métier d’archiviste
L'Association des archivistes français a publié en 2020 la 4e édition de son Abrégé d'archivistique. Principes et pratiques du métier d'archiviste. Quoi de neuf depuis les trois premières éditions de ce manuel ? Comment s'insère cet ouvrage dans les différentes traditions archivistiques ?
La mise en page des notes de ce texte n'est pas optimale. Le comité de rédaction s'en excuse et travaille à résoudre le problème.
A l’occasion du centenaire de son existence, en 2004, l’Association des archivistes français publie son premier abrégé archivistique (voir le compte rendu de Jean-Philippe Accart), en plus de consacrer un numéro commémoratif de La Gazette des archives et d’organiser un colloque de deux jours Archivistes dans le siècle. En 1970, elle était déjà à l’origine du premier Manuel d’archivistique conçu pour et par la communauté professionnelle, réédité en 1991 1 et remplacé en 1993 par La pratique archivistique française 2.
Il est important de rappeler cette ascendance pour bien comprendre les étapes éditoriales de l’Abrégé, ce qu’elles marquent dans l’évolution du domaine, passant de simple science auxiliaire de l’histoire à une discipline autonome, doté d’un corpus doctrinal original et imposant depuis le mitan des années quatre-vingt-dix, avec l’émergence d’Internet et l’universalisation des principes de la description archivistique, sous la poussée de l’informatique et de la globalisation de l’information. Ainsi, les éditions successives de 2004, (275 p.), de 2007 (315 p.), de 2012 (346 p.) et de 2020 (348 p), hormis pour cette dernière les annexes renvoyées sur site, intègrent, au fil des impressions, les développements de l’archivistique, l’accentuation des cadres législatifs, réglementaires et normatifs. Leur statut d’abrégé les oblige à restreindre et à condenser fortement le contenu des ouvrages antérieurs, qui comptaient en 1970, 805 pages et, en 1993, 630 pages. Elles s’emploient ainsi à synthétiser le discours, elles se soucient de la sobriété des textes et ambitionnent l’affirmation des bonnes pratiques. A la différence de leurs prédécesseurs qui avaient admis plusieurs « exceptions justifiées et dûment signalées en leur lieu » 3, elles s’en tiennent aux réalisations de l’archivistique française. Ses acteurs et ses publics sont français. En 2020, la bibliographie n’emprunte que deux titres et demi à la littérature francophone 4 ; la sitographie est quasi franco-française, l’archiviste français est monolingue ! Paradoxalement, on renonce à faire figurer l’aire géographique dans le titre de l’Abrégé, alors qu’elle caractérise les quarante premières pages « Archives et archivistes dans leur environnement » de la quatrième édition.
Si l’on ouvre l’angle de vue sur l’histoire des manuels d’archivistique, on constate que la France se pourvoit tardivement d’un ouvrage d’ensemble. En 1898, trois archivistes néerlandais ouvraient la voie5, suivis, en 1922, par l’archiviste anglais Hilary Jenkinson (1882-1961)6, en 1928, par l’archiviste italien Eugenio Casanova (1867-1951)7, et, en 1984, par l’archiviste espagnole Antonia Heredia Herrera (1934)8. Il faudra attendre l’année 2007 pour que l’Association des archivistes suisses dispose d’une telle publication9. Pour qu’ils demeurent consultés, ces outils de travail sont appelés à incorporer les progrès conceptuels, matériels et technologiques de l’archivistique : au rythme où ils s’opèrent, les simples rééditions sont condamnées10. Il ne faut dès lors pas s’étonner de l’existence de trois éditons refondues et augmentées de l’Abrégé, depuis celle de 2004.
Dans la continuité de ses devanciers, l’Abrégé est une œuvre collective. Des groupes d’auteurs (dans le cas présent, une vingtaine) sont constitués pour chaque édition, ils sont en grande partie chamboulés d’une édition à l’autre. En faisant appel aux praticiens, les comités de rédaction et de coordination s’assurent un retour d’expérience du terrain, une grande proximité avec les bonnes pratiques et l’assimilation des plus récents enseignements. Le fait de privilégier, en 2020, le support papier, à l’exception des annexes déjà mentionnées, participe de l’idée qu’un manuel doit rester à portée de main ; il est sollicité en fonction des besoins, l’usure de ses pages atteste son usage. Sa présence physique incarne mieux que la mise en ligne la somme de savoirs, les exigences et les convictions professionnelles.
Les grands changements intervenus entre la troisième et la quatrième édition sont énoncés dans l’Avant-propos : renforcement du volet numérique dans le domaine normatif et les aspects de la pérennisation ; prise en compte du Règlement Général sur la Protection des Données à caractère personnel (RGPD) ; reconsidération et clarification des principes de l’analyse des documents ; nouveaux atouts de la valorisation, notamment en ce qui concerne les vecteurs de médiation. Nous nous en tenons à commenter ici certaines parties.
Le cycle de vie est revisité par le « records management »/la gestion des documents d’activité, ce qui oblige de séparer nettement les temps de production et de conservation (« Les archives à l’âge courant et intermédiaire ») et de la « Constitution des archives définitives », eux-mêmes pouvant correspondre à trois espaces distincts dans le Système d’archivage électronique. Sa déclinaison impose une vision précoce et intégrale des étapes de l’archivage, l’élaboration stricte de procédures et de processus et des solutions techniques proportionnées et en conformité avec les impératifs normatifs : 88 pages, soit le quart de la publication, sont réservées à cette double problématique que « les spécificités de l’électronique » impactent singulièrement.
L’examen des fondamentaux de l’archivistique suit un ordre logique. Initié avec l’évaluation à laquelle s’adosse la sélection, et la collecte des archives publiques et des archives privées, il se poursuit, pour former le cœur d’autant de chapitres, avec le classement et la cotation ; l’analyse et l’indexation ; la description archivistique ; la conservation, la communication et enfin la valorisation. Ce qui est écrit sur l’évaluation aurait pu être rehaussé par le renvoi à d’autres pratiques puisées sur le plan international, notamment l’Ecole allemande (théories sociétales, du positionnement dans l’administration et statistique). L’indexation manuelle à l’aide du vocabulaire structuré est justement réhabilitée par rapport aux moteurs de recherche, alors qu’elle est le plus souvent délaissée par les archivistes. Elle prend de l’importance dans le contexte des métadonnées diffusées sur le web, comme point d’accès ; elle est favorisée par les instruments de recherche encodés en XML/EAD. La conservation préventive est élargie à une stratégie de préservation des archives numériques. Elle se double de la préoccupation de la pérennité que l’on retrouve dans tous les aspects de l’archivage électronique. La communicabilité est confrontée aux risques de la diffusion numérique.
A lui seul, le titre en dit long sur le contenu : « Les médias sociaux : au-delà du gadget » (pp. 318-319). Une section « Perspectives et points d’attention » (pp. 209-211) consigne de manière prospective les réflexions sur « Ouvrir, partager et rendre interopérables les métadonnées archivistiques » ; « Les identifiants pérennes » et « Vers un standard unique pour la description des archives : Records in Contexts ». Des objets moins familiers à des archivistes non français retiennent l’attention : l’externalisation de l’archivage (pp. 92-95) ; la réévaluation (p. 114) ; le vol (pp. 283-284) et l’action éducative (pp. 298-303). On peut regretter l’absence de lignes sur la recherche en archivistique.
Une telle publication fait honneur à la profession par ses apports. Certes, nous l’avons déjà écrit, il est dommage qu’elle ne reflète pas davantage l’archivistique francophone, ce que le Portail international archivistique francophone (PIAF), « fruit (…) d’une Francophonie plurielle et solidaire », a réussi à inclure dans son champ éducatif depuis 2005. Cela n’empêche pas la nouvelle version de l’Abrégé d’en imposer aux lecteurs. Sans être innovante sur tous ces points, elle allie à sa visée didactique l’actualisation des connaissances, la contribution des exemples concrets au raisonnement, l’harmonisation des textes, la visualisation des préconisations, les relations systématiques entre les chapitres et les sections, et les variations de couleurs comme marqueurs graphiques. Une attention soutenue est apportée à la terminologie, chaque chapitre se termine par le regroupement des vocabulaires référencés dans le glossaire qui clôt avec l’index le volume.
Les milieux de la formation et les services d’archives vont à l’évidence adopter l’Abrégé. Il faut désormais espérer qu’il permettra d’affermir la légitimité des archivistes auprès de leurs autorités de tutelle et dans la construction solide et durable des politiques d’archivage. Qui plus est, l’Abrégé devrait inspirer et stimuler de tels projets éditoriaux au sein des associations d’archivistes qui en sont privées ou qui doivent les renouveler. Une manière enviable de faire rayonner le métier et ses représentants.
- 1 Manuel d’archivistique. Théorie et pratique des Archives publiques en France. Ouvrage élaboré par l’Association des archivistes français. Avant-propos d’André Chamson, Paris, S.E.V.P.E.N, 1970, 805 p. Le livre est réimprimé en 1991.
- 2 La pratique archivistique sous la direction de Jean Favier, assisté de Danièle Neirinck, Paris : Archives nationales, 1993, 630 p. Un nouveau tirage sort en 1995 et une nouvelle édition accompagnée d’un « Supplément juridique, réglementaire, normatif & bibliographique » (avril 1993-juillet 2007), pp. XIX-XLVI et pp. 593-606, paraît en 2008.
- 3 Manuel d’archivistique, op. cit., p. 12.
- 4 Comprendre les travaux de Daniel Ducharme et de Basma Makhlouf Shabou (p. 134), ainsi que celui d’Andrea Giovannini, (p. 269), fautivement cité et daté - en fait, il s’agit d’une publication bilingue : De tutela librorum : la conservation des livres et des documents d'archives = die Erhaltung von Büchern und Archivalien, 4e éd. revue et augmentée, Baden : hier + jetzt, Verlag für Kultur und Geschichte, 2010, 569 p.
- 5 S[amuel] Muller, J[ohan] A[driaan] Feith en R[obert] Fruin, Handeiding voor het ordenen en beschrijven van archieven: ontworpen in opdracht van de Vereeniging van Archivarissen in Nederland, Groningen: Erven van der Kamp, 156 S. L’ouvrage a fait l’objet d’une 2e édition en 1920, de plusieurs traductions en allemand en 1905 ; en italien, en 1908 ; en français, en 1910 (Joseph Cuvelier, Henri Stein, avec une préface d’Henri Pirenne, Manuel pour le classement et la description des archives, La Haye : A de Jager, 2010, 159 p.) et en anglais, en 1940. Une édition américaine est encore proposée en 2003. Pour d’autres manuels d’archivistique, voir « Archivistique » (consultation le 21/09/2020).
- 6 A manual of the archive administration: including the problems of war archives and archive making, Oxford : Clarendon, 1922, 243 p.
- 7 Archivistica, Siena : Stabilimento Arti Grafiche Lazzeri, 1928, 533 p.
- 8 Archivística general : teoría y práctica, Sevilla : Diputación provincial de Sevilla, 1986, 389 p.
- 9 Archivparaxis in der Schweiz. Pratiques archivistiques en Suisse, par Gilbert Coutaz, Rodolfo Huber, Andreas Kellerhals, Albert Pfiffner, Barbara Roth-Lochner, Baden : hier+jetzt, Verlag für Kultur und Geschichte, 2007, 390 p.
- 10 Sans qu’ils soient encore dominants, signalons les ouvrages, en raison de leur nombre d’éditions, d’Elio Lodolini (1922), Archivistica : principi e problemi, 15a ed. (1a ed., 1984) : F. Angeli, 2013, 495 p. et Eckhart Götz. Franz (1931-2015) und Thomas Lux, Einführung in die Archivkunde, 9. vollständige überarbeitete und erweiterte Auflage (1.ste Aufl., 1974), Darmstadt: Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2018, 209 S.