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2025/2 Familienarchive

Les Caisses de famille aux Archives de l’Etat de Neuchâtel : un outil de conservation des archives familiales

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Institutions suisses encore bien ancrées dans le canton de Neuchâtel, les caisses de famille gèrent le patrimoine financier familial. Elles jouent aussi un rôle essentiel dans la préservation des archives familiales, leur statut juridique représentant un atout pour la constitution, le suivi et la valorisation des fonds de familles déposés en leur nom aux Archives.

Origine des caisses de famille

Fondées à une époque où la sécurité sociale étatique n’existait pas encore, les caisses de famille1 visent à apporter un soutien financier aux descendants de la famille dans le besoin. Elles reposent sur un capital indivisible et incessible, placé à intérêt, constitué à l’origine par un legs ou par une convention établie entre membres d’une même famille. Leur organisation est confiée à une assemblée annuelle chargée d’approuver les comptes, d’élire le comité et son président, ainsi que d’examiner les demandes de subventions.

Issues de la coutume bernoise, les premières caisses de famille apparaissent au XVIIe siècle au sein des familles patriciennes de la ville de Berne. Ce modèle s’est ensuite diffusé dans le canton de Neuchâtel à partir du XVIIIe siècle. Considérées comme un vestige de l’Ancien Régime, les caisses de famille sont contestées par les autorités bernoises issues de la Régénération libérale de 1830-1831. En 1837, celles-ci en abolissent le caractère indivisible, entraînant la dissolution de la plupart des caisses. À l’inverse, dans le canton de Neuchâtel, ces institutions ont perduré jusqu’à nos jours, en dépit des changements de régime politique et juridique.

Coffre de la famille von Fellenberg. Photographie de Manuel Kehrli, 06.06.2014. En ligne : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Familienkiste_von_Fellenberg.JPG À l’origine, les documents attestant des biens d’une famille (titres, créances, contrats, actes, etc.) étaient conservés dans des coffres ou des caisses. Par métonymie, l’expression Caisse de famille (Familienkiste en allemand) en est venue à désigner l’ensemble des biens inaliénables et indivisibles réunis par la famille.
Coffre de la famille von Fellenberg
Manuel Kehrli, 06.06.2014.

Les caisses de famille, des partenaires archivistiques privilégiés

Garantes du patrimoine financier familial, les caisses de famille assurent aussi, bien souvent, la gestion des archives familiales. Lorsque celles-ci sont déposées en leur nom dans un service d’archives, elles en fixent les conditions d’accès. Les modalités sont formalisées par une convention signée avec l’institution d’archives. À ce jour, les Archives de l’Etat de Neuchâtel (ci-après AEN) conservent onze fonds privés déposés par des caisses de famille, dont les dates de dépôt s’échelonnent de 1954 à 2019.2Aucun fonds dépendant d’une caisse de famille n’a pour l’instant été donné.

En tant que personne morale, une caisse de famille présente plusieurs avantages lorsqu’elle dépose un fonds, comparée à une personne physique ou à une indivision. 

Tout d’abord, les fonds d’archives sont généralement bien structurés, voire déjà classés, avant leur dépôt aux Archives. En effet, les caisses de famille désignent souvent, au sein de leur comité, un responsable des archives familiales, une disposition parfois inscrite dans leurs statuts. Une telle organisation permet d’assurer un suivi cohérent de la gestion des archives familiales au fil des générations, y compris après le dépôt : les conventions prévoient presque toujours une clause permettant l’enrichissement du fonds par l’ajout de nouveaux documents. Certaines caisses de famille procèdent ainsi régulièrement à de nouveaux versements, ce qui est moins fréquent lorsqu’il s’agit d’un dépôt effectué par une personne physique. À ce titre, la Caisse de famille Coulon constitue un bon exemple. Après un premier dépôt réalisé en 1954, elle a alimenté son fonds à de nombreuses reprises, tout récemment encore.

Ensuite, lorsque des fonds d’archives sont déposés et non donnés, il est essentiel pour l’institution d’archives de pouvoir identifier à tout moment l’ayant-droit, notamment si la consultation du fonds est soumise à des restrictions nécessitant son autorisation. De ce point de vue, une caisse de famille offre une garantie de continuité à long terme : sauf en cas de dissolution, l’institution d’archives sait qu’elle s’adresse toujours à un interlocuteur clairement désigné. La caisse de famille transmet simplement le nom de son président ou de son secrétaire à chaque mutation. 

En revanche, quand un fonds est déposé par une personne physique ou une indivision, il existe un risque de déshérence si aucune disposition n’a été prise pour désigner un successeur. Une telle situation peut devenir délicate à gérer pour l’institution d’archives, en particulier lorsqu’il faut, une génération plus tard, recueillir l’accord non plus de frères et sœurs, mais de cousins et cousines, ce qui complique considérablement les démarches.3

Ce cas de figure s’est présenté avec un fonds de famille déposé en 1938 aux AEN, auquel le déposant avait assorti des restrictions de consultation. Avant son décès, il n’a toutefois pas pris de dispositions quant à la propriété future du fonds. En 1976, l’archiviste de l’État, Alfred Schnegg, a contacté les nièces du déposant afin de clarifier la situation. Les considérant comme les représentantes de la famille en tant que porteuses du nom (elles ne se sont pas mariées), il les a invitées à désigner, d’entente avec leur parenté, un futur propriétaire du fonds, chargé à son tour de nommer un successeur. À défaut, elles pouvaient décider qu’il deviendrait la propriété des AEN une fois la famille éteinte. N’ayant pas de descendants, elles ont accepté de céder le fonds aux AEN. Cependant, les filles du déposant se sont opposées à la décision de leurs cousines. Ce n’est qu’en 2008 que la dernière descendante de la famille, et à ce titre, propriétaire du fonds, l’a finalement donné aux AEN.

Enfin, les caisses de famille présentent un dernier atout par rapport à une personne physique ou à une indivision : elles sont en mesure de contribuer activement à la mise en valeur de leurs archives. Elles sont parfois à l’origine de recherches historiques, qu’elles soutiennent financièrement lorsque celles-ci servent les intérêts de la famille. Ces initiatives peuvent être de grande envergure, à l’image des ouvrages consacrés aux familles Sandoz et Rougemont.4

Bessourour Youssef

Youssef Bessourour

Diplômé d’un Master en sciences historiques de l’Université de Neuchâtel, Youssef Bessourour travaille depuis 2024 aux Archives de l’Etat de Neuchâtel (AEN), d’abord comme stagiaire et aide-archiviste, puis comme archiviste dans le cadre du projet de déménagement des AEN à La Chaux-de-Fonds (Centre archives et patrimoine). Il a auparavant été assistant-étudiant à l’Institut d’histoire de l’Université de Neuchâtel ainsi que stagiaire aux Archives de la Ville de Neuchâtel et aux Archives de la Ville de La Chaux-de-Fonds.

  • 1 À l’origine, les documents attestant des biens d’une famille (titres, créances, contrats, actes, etc.) étaient conservés dans des coffres ou des caisses. Par métonymie, l’expression caisse de famille (Familienkiste en allemand) en est venue à désigner l’ensemble des biens inaliénables et indivisibles réunis par la famille.
  • 2 Un fonds déposé par une caisse de famille a été retiré des AEN, celui de la famille Sandoz.  Les inventaires en ligne sont accessibles ici: https://www.archivesne.ch
  • 3 C’est notamment pour cette raison que les AEN privilégient le don au dépôt comme modalité d’acquisition des fonds privés. Afin de prévenir les retraits et d’encourager la transformation des dépôts en dons, les conventions de dépôt prévoient systématiquement que les frais de classement et d’inventaire du fonds doivent être remboursés aux AEN en cas de retrait.
  • 4 Jean-Pierre Jelmini (éd.), Du Moyen Age au troisième millénaire. Les Sandoz : Une famille des Montagnes neuchâteloises à la conquête du monde, Hauterive, 2000 ; Yves de Rougemont et Denise de Rougemont (éds.), La famille Rougemont de St-Aubin et Neuchâtel, Hauterive, 2012.

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Créées pour venir en aide aux membres de la famille dans le besoin, les caisses de famille assurent aussi, dans bien des cas, la gestion des archives familiales. Aux Archives de l’Etat de Neuchâtel, de nombreux fonds ont été déposés par ces institutions, encore bien actives dans le canton. Les dépôts émanant des caisses de famille, des personnes morales, offrent de meilleures garanties de conservation et de valorisation à long terme que ceux effectués par des personnes physiques.

Die Familienkisten wurden gegründet, um Familienangehörigen in Notlagen zu helfen. In vielen Fällen kümmern sie sich auch um die Verwaltung des Familienarchivs. Beim Staatsarchiv des Kantons Neuenburg wurden zahlreiche Fonds dieser Institutionen hinterlegt, die im Kanton immer noch sehr aktiv sind. Die Hinterlegungen von Familienkisten, juristischen Personen, bieten bessere Garantien für die langfristige Erhaltung und Aufwertung als jene von Privatpersonen.