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2025/2 Familienarchive

Les Archives de La Doges : le papier qui enveloppe la pierre

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Conservé au Domaine de La Doges, le fonds d’archives de la famille de Palézieux documente près de deux siècles de vie bourgeoise. Ce fonds privé constitue une ressource précieuse pour la recherche historique et un outil concret de médiation culturelle.

Sur les hauts de La Tour-de-Peilz, le domaine de La Doges se distingue, en plus de son architecture remarquable, par un trésor d’un autre genre : il abrite un ensemble remarquable d’archives, de mobilier et d’objets faisant partie de la vie quotidienne des élites vaudoises des siècles passées. Ce précieux héritage culturel a été transmis à la section vaudoise de Patrimoine suisse en 1997, par les derniers habitant·e·s du domaine, Odette de Palézieux (née Favre) et André Coigny. Conservées in situ, les archives familiales des Palézieux dit Falconnet, propriétaires du domaine pendant près de deux siècles (de 1821 à 1997), forment un fonds autonome : les Archives de Palézieux à La Doges (APD). Cette continuité physique entre les documents et les espaces qu’ils ont contribué à façonner fait aujourd’hui toute la richesse de ce fonds et son intérêt, aussi bien pour la recherche historique que de la médiation culturelle.

Généalogie, archives administratives mais aussi pièces artistiques

Les APD représentent environ 1,5 mètre linéaire d’archives (six cartons hors format), décrites à la pièce dans un inventaire de plus de cent pages. Ce traitement, réalisé entre 2009 et 2019 par un historien, repose sur une logique de classement qui reflète la manière dont la famille a construit sa propre mémoire. Ce que la famille de Palézieux a choisi de conserver, et ce qu’elle a laissé disparaître, raconte une histoire implicite : celle d’un lignage soucieux d’affirmer sa légitimité. La généalogie y tient une place centrale, avec un classement par individu, de nombreuses correspondances et actes notariés, ainsi que des arbres généalogiques dessinés avec soin. Le patrimoine immobilier et mobilier est tout aussi méticuleusement documenté à travers les acquis (Fig. 1), les livres de comptes et les legs. Ces documents témoignent d’une conscience de classe affirmée, où l’archive devient un outil de légitimation sociale autant qu’un support de transmission familiale. 

Fig. 1 : Contrat de ventre du domaine de La Doges signé par Abram François de Palézieux dit Falconnet, parchemin 49 x 59 cm, 27 janvier 1821
©Naomi Wenger, Domaine de La Doges, 2021

Au-delà des pièces factuelles sur la gestion patrimoniale et l’organisation familiale, les APD contiennent aussi une typologie variée de documents. Des archives iconographiques et matérielles telles que les photographies de famille (Fig. 2), les portraits, ou encore les dessins botaniques et aquarelles réalisés par l’une des maîtresses de maison racontent autrement le quotidien domestique du domaine. Ainsi, un herbier peint consacré aux fleurs de La Doges, attribué à Marie (née Du Pan) de Palézieux (1859–1940) au tournant du XXe siècle (Fig. 3), documente à la fois les espèces cultivées et une pratique artistique féminine caractéristique des classes aisées. Certaines archives touchent plus directement à l’intime, comme la correspondance affectueuse entre les membres de la famille ou même les testaments.

Fig. 2 : Photographie de la famille de Palézieux devant La Doges, Circa 1905
©Naomi Wenger, Domaine de La Doges, 2021
Fig. 3 : Herbier de Marie du Pan, aquarelles sur papier, divers formats Circa 1890
©Naomi Wenger, Domaine de La Doges, 2021

Les archives de la vie quotidienne comme support de médiation culturelle

Cette plongée dans l’histoire sociale de La Doges trouve naturellement un prolongement dans la médiation culturelle. Durant les visites guidées, les archives sont mobilisées pour raconter le quotidien des quatre générations qui se sont succédé dans ces murs : une lettre évoque la difficulté d’engager une bonne cuisinière, un testament fait l’inventaire du mobilier légué d’une génération à l’autre, une facture révèle la date d’installation des premières ampoules, ou encore un menu détaille les mets raffinés d’un repas de fête. Ces éléments, à la jonction entre la mémoire écrite et le quotidien domestique, ouvrent ainsi une lecture plus incarnée du fonds, qui devient alors un outil précieux pour évoquer, avec le public, des formes de présence souvent absentes des récits officiels : les femmes, les enfants, les domestiques ou encore les visiteurs de passage. Il élargit le regard sur ce qu’est une « maison de maître », bien au-delà de sa façade ou de ses propriétaires.

Les archives en creux et en relief

En outre, ce que les archives montrent est indissociable de ce qu’elles taisent. Dans les livres de comptes de Jean-François de Palézieux (1816–1876), une ligne revient régulièrement : « à Sally pour le ménage », sans autre précision. Ce versement à son épouse, Salomé (née Ryhiner) (1823–1890), suggère une gestion domestique autonome, probablement consignée dans un carnet de ménage qui n’a pas été conservé. Avec lui ont disparues de précieuses informations sur les dépenses quotidiennes : salaires du personnel de maison, achats alimentaires, et sûrement un budget personnel. Cette absence souligne combien les logiques de tri ont orienté la stratégie mémorielle vers la transmission de l’héritage familial, au détriment de l’ordinaire. Elle met en lumière un biais documentaire tenace, où les logiques patrimoniales ont souvent éclipsé les savoirs pratiques féminins. 

Un fonds qui s'accroît encore

Au-delà du fonds de Palézieux proprement dit, La Doges conserve également des archives plus récentes : celles, partiellement traitées des légataires du domaine, Odette et André Coigny-de Palézieux, ainsi que celles de la section vaudoise de Patrimoine suisse en lien avec la gestion du site. Cette documentation raconte une autre histoire : celle d’un lieu qui continue de produire de la mémoire à travers son activité culturelle, et dont la conservation patrimoniale s’inscrit elle aussi dans le temps long.

Les archives de Palézieux conservées à La Doges ne représentent pas seulement un réservoir documentaire, mais offrent une autre manière d’approcher l’histoire d’une maison bourgeoise : non comme un décor figé, mais comme un espace de mémoire où s’entrelacent vie domestique, récit familial et gestion patrimoniale.

Pour en savoir plus

Béatrice Lovis (dir.), Le Domaine de La Doges: au temps des Palézieux dit Falconnet. Deux siècles d’histoire (1821-2021), Genève, Slatkine; La Tour-de-Peilz, Patrimoine suisse section vaudoise, 2e édition, 2025, 248 p., 235 ill. Disponible en librairie ou à l'achat directement au Domaine de La Doges.

Cornut Simren, « Faire l’histoire de la famille de Palézieux dit Falconnet à La Doges (1821-1997) : une question d’archives », Travail universitaire dans le cadre du MAS-ALIS, non publié, 2023, 27 p. Disponible en consultation au Domaine de La Doges.

Bérangère Lepourtois

Bérangère Lepourtois

Historienne de l’art, Bérangère Lepourtois s’est spécialisée dans les arts appliqués et s’intéresse à la place des domestiques dans l’architecture bourgeoise romande entre le XVIIIe et le XXe siècles. Conservatrice du domaine de La Doges, elle assure la gestion de la collection (mobilier et archives) et la valorisation de ce monument classé à travers la médiation culturelle et la programmation d’événements variés.

Simren Cornut

Simren Cornut

Simren Cornut est historien et archiviste MAS ALIS. Il travaille principalement sur des fonds d’archives publics, mais aussi privés, notamment celui du Palace de Caux. Il a également mené une étude approfondie du fonds de La Doges, et est actif dans la valorisation du domaine en tant que programmateur culturel.

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Conservé au domaine de La Doges, le fonds privé de la famille de Palézieux documente près de deux siècles de vie bourgeoise. Ces archives constituent un exemple remarquable de fonds familial resté autonome, et offre un outil précieux pour penser les liens entre lieu, histoire sociale et transmission documentaire. Ressource pour la recherche, il alimente aussi la médiation culturelle, en replaçant les archives dans leur contexte de production.

Das im Château de La Doges aufbewahrte Privatarchiv der Familie de Palézieux dokumentiert einen Zeitraum von fast zwei Jahrhunderten bürgerlichen Lebens. Es ist ein bemerkenswertes Beispiel für einen unabhängigen Familienbestand und bietet ein wertvolles Instrument, um die Beziehungen zwischen Ort, sozialer Geschichte und Dokumentenüberlieferung zu verstehen. Als Forschungsressource dient es auch der kulturellen Vermittlung, indem es die Archive in ihren Produktionskontext zurückversetzt.