Le propos s’articule en trois parties allant du général au particulier. En première partie, pour développer une meilleure compréhension du concept des valeurs, nous examinerons rapidement un modèle théorique de valeurs personnelles. Nous définirons en deuxième partie le concept de valeurs professionnelles proprement dit. Enfin, en troisième partie, nous tenterons de cerner certaines valeurs professionnelles qui pourraient guider l’archiviste dans sa pratique. Le lecteur comprendra que l’ensemble et l’ordre des valeurs identifiées en troisième partie pourront être modifiés au fur et à mesure qu’évolueront les réflexions s’intéressant aux valeurs professionnelles qui guident l’archiviste contemporain dans ses interventions.

1- Le concept de valeurs personnelles

Pour bien saisir ce que pourraient être les valeurs professionnelles de l’archiviste, élargissons notre propos et voyons s’il existe des systèmes de valeurs qui pourraient aider à identifier celles susceptibles d’éclairer l’archiviste dans son parcours professionnel. Dans ce contexte, il est intéressant d’aborder la réflexion qu’a menée Shalom H. Schwartz (2006) pour nous permettre de mieux comprendre et situer plus largement le concept de valeurs professionnelles. Comme on pourra le constater, les valeurs décrites par Schwartz confirment plusieurs valeurs parmi celles que nous examinerons en troisième partie de ce texte. De plus, le tableau de Schwartz sera utile pour qui voudra entreprendre une réflexion personnelle et identifier des valeurs qui lui sont propres.

Né en 1936 à Hempstead dans l’État de New York, Shalom H. Schwartz est un psychologue social américain très respecté dans son domaine. Il est connu et reconnu pour avoir développé une théorie des valeurs de base et universelles. Cette théorie est partagée par plusieurs spécialistes et elle est très présente dans le monde de l’éducation. Schwartz a réalisé ses recherches dans 70 pays à travers le monde. Dans son article intitulé Les valeurs de base de la personne: théorie, mesures et application publié en 2006¹, il a identifié dix valeurs fondamentales en relation avec la structure universelle des motivations humaines. Il faut donc voir ici un ensemble de valeurs qui transcendent les valeurs professionnelles d’un secteur d’activité et qui peut aider à en tracer les contours.

Rappelons que le modèle proposé par Schwartz permet de prendre du recul par rapport aux valeurs professionnelles en jetant un œil sur un système humaniste de valeurs qui n’est pas uniquement lié à la profession que nous pratiquons. Mais souvent, ce sera sur ces dernières que s’appuieront les valeurs professionnelles qui nous orienteront dans nos actions et nos interventions.

2- Le concept de valeurs professionnelles

Bernard Dione, professeur à l’École des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (EBAD) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, a proposé en 2015 une définition des plus pertinentes du concept de valeurs professionnelles chez les bibliothécaires, concept qui s’adapte fort bien aux archivistes. Selon Dione: «Les valeurs professionnelles sont des principes, des croyances, des convictions qui guident et motivent le choix, les actions et les comportements des membres d’une profession dans l’exercice de leurs activités. Leur acquisition s’opère par le biais de la socialisation professionnelle qui débute avec la formation.»² Il m’a semblé approprié de retenir cette définition parmi celle de plusieurs autres groupes professionnels puisque l’archivistique fait partie du domaine des sciences de l’information et que les archivistes entretiennent des liens étroits avec les spécialistes de ce vaste domaine scientifique.

Voyons ce que nous révèle une analyse plus précise de cette définition³.

Les valeurs professionnelles sont des principes…

Exemple, le principe fondateur qui guide l’archiviste: le respect des fonds.

Les valeurs professionnelles sont des croyances…

Exemples de certitudes en lesquelles l’archiviste croit profondément:

• Les archives sont un témoignage privilégié des activités de la société.

ou

• Le numérique a profondément changé nos actions et nos interventions professionnelles.

ou

• L’évaluation est le noyau dur de l’archivistique contemporaine.

Les valeurs professionnelles sont des convictions...

Exemples de ce dont les archivistes sont profondément convaincus:

• Pour devenir archiviste, aucune formation ne peut remplacer une formation en archivistique.

ou

• L’archiviste et/ou le gestionnaire de documents est irremplaçable pour organiser, traiter et rendre accessibles les archives et/ou les documents d’une institution quelle qu’elle soit.

Ce sont ces valeurs qui guident le choix, les actions et les comportements...

Elles orientent les décisions de l’archiviste dans son quotidien ainsi que les façons dont il intervient et caractérisent ses comportements dans l’institution qui l’emploie.

On les acquiert par la socialisation professionnelle...

Ce que fait l’archiviste dans le cadre des activités professionnelles auxquelles il participe (associations professionnelles, congrès, activités de formation continue, etc.).

Et finalement, tout cela débute par la formation initiale (que vous avez acquise et qui vous a préparé à prendre votre place dans la profession).

3- Quelles pourraient être les valeurs professionnelles de l’archiviste?

Abordons maintenant les valeurs professionnelles qui pourraient guider l’archiviste dans l’exercice de ses interventions. L’ordre dans lequel sont présentées lesdites valeurs est lié à l’importance que je leur accorde personnellement. Ainsi, cet ordre sera différent d’une personne à l’autre, selon sa formation, son expérience personnelle ou son cheminement professionnel. Rappelons aussi que plusieurs de ces valeurs se retrouvent dans celles décrites par Schwartz et que toutes sont conformes avec la définition du concept de valeur professionnelle que fournit Bernard Dione.

La professionnalisation (pour l’atteindre, il faut reconnaitre l’importance…):

• De la préparation scientifique et professionnelle (formation, enseignement, recherche et développement) pour accéder à la profession d’archiviste;
• De la formation continue;
• De la normalisation des actions en un code d’éthique;
• Du développement et de l’application de principes fondamentaux, de normes, de pratiques et de méthodes reconnus;
• De la conformité;
• Du développement de la discipline archivistique.

La confiance en soi:

• Être conscient de la valeur de l’expertise de l’archiviste;
• Capacité de travailler avec des professionnels d’autres domaines sur un pied d’égalité, sans complexe d’infériorité;
• Autonomie de la profession (l’autonomie mène à la capacité d’échanger sur un pied d’égalité).

L’interdisciplinarité:

• Faire travailler ensemble des personnes ou des équipes issues de diverses disciplines scientifiques;
• Harmonisation entre discipline plutôt qu’intégration des disciplines;
• Respect des spécificités des disciplines.

Le partage de la connaissance:

• Échanges entre professions de la gestion de l’information et avec tout autre domaine pouvant enrichir les interventions de l’archiviste ou que lui-même peut enrichir;
• Diffusion de la connaissance scientifique;
• Échanges entre professionnels.

Le regroupement:

• L’importance de faire partie d’un ou de plusieurs groupes professionnels;
• L’importance de faire partie de groupes plus grands au plan national et international;
• Le tout peut être plus grand que l’ensemble de ses parties;
• L’importance du sentiment d’appartenance;
• L’importance de la fierté professionnelle.

Le témoignage:

• Les archives témoignent de l’ensemble des activités de la société tant pour des fins de gestion que de préservation du patrimoine;
• L’évaluation des archives doit viser cette finalité.

L’approche ou la vision holistique:

• Il est primordial de se préoccuper de l’ensemble des archives à tous les stades de leur vie;
• Approche universaliste (tous supports confondus);
• Caractère essentiel du travail en amont.

L’intégrité dont doivent faire preuve les institutions (Est-ce que cela relève de l’archiviste? Oui en ce que la bonne gouvernance et la transparence se vérifient entre autres dans des archives bien tenues.):

• La bonne gouvernance et la transparence pour l’État et pour les institutions quelles qu’elles soient;
• Le lien qui existe entre des archives gérées efficacement, la bonne gouvernance et la transparence;
• L’honnêteté et l’intégrité des institutions.

Conclusion

En guise de conclusion, je vous laisse répondre aux deux questions suivantes:

1. Là où vous en êtes dans votre carrière, n’est-il pas de toute première importance que vous meniez, si ce n’est déjà fait, une réflexion sur les valeurs professionnelles qui vous guideront tout au long de votre carrière? Notez que les valeurs que vous identifierez seront probablement appelées à se transformer, à se préciser, à s’adapter au fil du temps.
2. Et cette démarche, tout en étant essentielle pour vous, ne l’est-elle pas aussi pour la communauté archivistique, pour les institutions où vous exercez votre profession et pour la société en général qui profite de vos compétences?