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2021/1 Private Archive und Bibliotheken – Luxus oder Notwendigkeit?

Création, semis et palabres. La boîte à création, ou l'archivage comme outil de création artistique

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«Création, semis et palabres» est un dispositif archivistique imaginé lors de la réalisation du fonds de la chorégraphe Manon Hotte. Il a soulevé d’emblée deux questions: «Comment et pourquoi archiver le travail de création?» et «Peut-on mettre la danse en boite?». Il nous a mené à créer notre propre définition d’archives vivantes et évolutives et à dialoguer sur l’archivage comme outil de création artistique.

Des archives vivantes et évolutives

Le fonds de la chorégraphe Manon Hotte témoigne de son travail spécifique mené avec des professionnels et de très jeunes danseurs et danseuses à Genève pendant près de 30 ans au sein de l’Atelier Danse Manon Hotte (ADMH) et de la Compagnie Virevolte. C’est lors de la cessation des activités de ces institutions en 2014 que la question de l’archivage s’est posée. Quand nous avons débuté ce projet, la chorégraphe ne connaissait pas le monde des archives, et l’archiviste pensait archiver le fonds de manière traditionnelle. Puis cette dernière a découvert que la caractéristique du travail de la chorégraphe est celle de la création interdisciplinaire performative et plus spécifiquement celle menée avec les enfants danseurs. De ce travail, elle a élaboré avec son équipe une pédagogie de la création, une approche artistique qui considère chacun comme porteur de sa propre histoire. Il s’agit d’une spécificité dont est issue une génération de danseurs créateurs évoluant actuellement en Suisse et outre atlantique.

Voilà ce qu’il allait falloir archiver, sans trahir l’enjeu. Après une recherche lors d’un tour du monde archivistique complet, nous constatons qu’il n’existe pas d’exemple à disposition et que tout sera à inventer. Dès le départ, la chorégraphe et les professionnelles de la danse font part de leur peur du mot «archives». Pour elles, enfermer des documents dans des boîtes, c’est mettre à mort ce qui s’est passé et d’une certaine manière tout le «vivant» que véhicule la danse. Nous choisissons ainsi de fabriquer des boites d’archives en couleur qui répondent aux normes de préservation, et décidons que ces boites doivent être «ouvertes», à savoir qu’elles sont conçues pour recevoir de nouvelles traces, des documents produits à partir de leur contenu.

Nous avons ainsi développé notre propre système et inventé la «boîte à création», qui doit permettre de découvrir comment a été effectuée une création chorégraphique depuis son idée initiale à sa finalité. Nous archivons ainsi quelque chose d’inédit, des processus de création, à destination d’un public de chercheurs, d’artistes, d’enseignants, de jeunes en formation et du grand public. Et l’archivage lui-même est devenu un processus de création.

Et l’archivage lui-même est devenu un processus de création.

Mené en associant nos compétences de chorégraphe et d’archiviste, ce projet a permis de développer, en plus d’un archivage traditionnel, le concept d’archives vivantes et évolutives. Nous entendons par archives vivantes le fait que ces documents permettent un travail de création et non uniquement la rédaction de l’histoire de leur producteur ou la recréation à l’identique d’une œuvre. La consultation d’un processus de création doit permettre le développement d’autres processus de création et donne une sorte de cadre ouvert à de multiple possibles. Les boites à création sont consultables au Projet H107 un lieu dédié à la création en danse contemporaine à Genève.

Ces archives sont également évolutives, grâce aux fourres «semis» vides au départ, installées dans chaque boite à création et qui invitent et encouragent le public à laisser des témoignages ou des traces de travaux de recréation faites à posteriori. Nous avons cherché à générer du mouvement à l’intérieur des boîtes par une signalisation adaptée et par une extension grâce à des témoignages; et entre elles par des codes couleur et des renvois entre les boîtes. Chaque création ou projet artistique pédagogique a sa boîte, organisée de la même manière selon ce système particulier, sous forme papier et numérique (vidéos, bandes son, interviews, matériau de recherche filmés ou sonores). Le public a la possibilité d’accéder directement à l’ensemble du fonds, sans passer par l’inventaire, et sans les commander.

Ce principe évolutif n'aurait probablement pas pu voir le jour dans le cadre règlementé des archives publiques et nous avons profité de la liberté du cadre privé pour expérimenter cette manière de faire.

Le défi de l'archivage comme outil de création artistique

La conception et la réalisation de ces archives a nécessité trois années de travail à temps partiel. Il a été soutenu financièrement par des fondations privées, ce qui nous a permis d’engager un jeune archiviste pour le conditionnement des documents. Depuis son ouverture en 2018, ces archives ont été visitées par des chercheures en danse, des artistes, des personnes intéressées par la danse ou l’art. Ces quelques années de recul nous ont permis d’affirmer que le concept de la boite à création fonctionne.

Le dispositif Création, semis et palabres, dans lequel s’insère le fonds, est encore à l’état d’exploration. Il est imaginé en trois formats, constituant ainsi un cadre de recherche sur lequel peuvent s’appuyer les personnes intéressées à venir enrichir ou partager leur propre démarche artistique, pédagogique voire citoyenne. Les trois formats se déclinent ainsi: «création» pour l’archivage de processus de création et ceux qu’il engendrera, «semis» pour les traces artistiques et les témoignages récoltés auprès des artistes et des publics, «palabres» pour les échanges organisés directement auprès des publics et des internautes.

Il nous tient à cœur que ce dispositif puisse soutenir les besoins du terrain concernant la recherche artistique. Créer à partir d’archives n’est pas chose courante, c’est pourquoi nous avons proposé ces trois dernières années des actions artistiques et pédagogiques à partir du matériel archivistique et les avons partagées avec le public. Leur qualité artistique et pédagogique ainsi que leur bonne réception auprès du public nous encouragent à penser que nous sommes vraiment dans la bonne direction. Toutefois nous constatons que l’activation du dispositif nécessite un important travail de médiation et de sensibilisation auprès des publics et des artistes.

Réalisations artistiques et pédagogiques expérimentées à partir du fonds:

«Blanc Mémoire», proposition de Dorothée Thébert et Manon Hotte. Une installation-archive pensée pour être nourrie et activée par le public. Présentée au Théâtre du Galpon en 2018.

«Danse et archives», un stage conçu à l’intention des classes du primaire permettant aux élèves d’explorer le mouvement à partir de documents issus d’archives personnelles, professionnelles et citoyennes. Organisé par l’association Cap Nord depuis 2018, en collaboration avec les Archives d’Etat de Genève et le Projet H107, dans le cadre d’Ecole et Culture du DIP.

En effet, il n’est pas naturel ni pour les visiteurs ni pour les artistes de laisser des traces qui seront à leur tour consultées et il est donc nécessaire de développer une stratégie de communication sur son utilité. Actuellement nous réfléchissons à mieux organiser les semis afin de les rendre plus visibles. Il nous semblerait également intéressant d’offrir la possibilité à d’autres artistes de réaliser une boite à création à partir d’une de leurs œuvres et de laisser un exemplaire en consultation dans le dispositif. Cette ouverture permettrait de faire dialoguer entre elles différentes approches artistiques et pédagogiques et stimulerait encore mieux la création à nouveau. Nous souhaitons également consolider le format «palabres» du dispositif. Les tâches consisteraient à la numérisation des documents audiovisuels ainsi que celle d’un choix de documents écrits à mettre en ligne afin de toucher un public au-delà de nos frontières helvétiques.

La fragilité d'une entreprise associative

Création, semis et palabres, nous l’aurons compris, est un projet en constant mouvement adaptant son fonctionnement au fur et à mesure de son évolution. Toutefois, ce qui fait sa force fait également sa fragilité. Un tel projet nécessite d’avoir les moyens de ses ambitions, ce qui n’est pas évident dans le cadre d’une organisation associative à but non lucratif comme la nôtre et qui fonctionne grâce au bénévolat. L’association Cap Nord porteuse de ce projet réfléchit actuellement à la manière de trouver les ressources nécessaires pour faire vivre ce dispositif si singulier tant dans le milieu des arts que celui des archives.

Œuvrant de manière indépendante et hors des sentiers battus, elle a besoin maintenant de se faire connaître et de poursuivre ses réflexions avec d’autres collaborateurs et partenaires intéressés par la valeur artistique que peuvent contenir les documents d’archives. Une utopie? L’avenir nous le dira. Quoiqu’il en soit, l’aventure fut jusqu’à maintenant extrêmement enrichissante et stimulante tant au niveau archivistique qu’artistique.

Manon Hotte portrait

Manon Hotte

Manon Hotte évolue dans le milieu professionnel de la danse depuis plus de 40 ans. Elle débute sa carrière de danseuse au Québec, sa terre natale, pour la poursuivre dès 1981 à Genève en Suisse, sa terre d’adoption où elle s’insère graduellement dans le milieu de la création contemporaine. La caractéristique de son travail est la création interdisciplinaire performative et plus spécifiquement celle menée avec les enfants et adolescents danseurs. De ce travail elle a élaboré une pédagogie de la création avec son équipe, œuvrant au sein de l’Atelier Danse Manon Hotte / Cie Virevolte (1993-2014). En 2014, elle cofonde le Projet H107, un lieu dédié à la création en danse contemporaine où ses archives, qu’elle souhaite vivantes et évolutives, sont mises en consultation sous l’intitulé de «Création, semis et palabres». Elle poursuit son travail de créatrice en art performatif.

Dunant Gonzenbach Anouk 2015

Anouk Dunant Gonzenbach

Anouk Dunant Gonzenbach travaille depuis 15 ans comme archiviste aux Archives d'Etat de Genève, où elle est responsable des projets numériques: archivage électronique; gouvernance des documents et données électroniques; outils numériques et médiation numérique. Elle est membre du groupe Records Management-archivage définitif de l'Association des archivistes suisses. Elle tient un blog professionnel: www.hieretdemain.ch.

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«Création, semis et palabres» est un dispositif archivistique mis en place lors de la réalisation du fonds de la chorégraphe Manon Hotte. Il a soulevé d’emblée deux questions: «Comment et pourquoi archiver le travail de création?» et «Peut-on mettre la danse en boite?». Il nous a mené à créer notre propre définition d’archives vivantes et évolutives et à dialoguer sur l’archivage comme outil de création artistique.