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2013/1 Privatarchive

«Un visage, une voix, une vie» – la collection de films Plans-Fixes: 280 portraits suisses romands en 35 ans

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L’aventure des films Plans-Fixes débute en 1977 ... Une aventure qui conduira des premiers portraits un tantinet bricolés – image et son passablement fluctuants – à une production suivie, d’un niveau de plus en plus professionnel, comptant aujourd’hui – trente-cinq ans écoulés – quelque 280 titres.

Ramuz sans voix ni image ...

L’idée est née du constat fait en 1977 par le journaliste et homme de radio Michel Bory qu’il n’existait aucun portrait filmé de Charles-Ferdinand Ramuz, dont on préparait alors le centième anniversaire de la naissance (1878)Bory, M., «Naissance d’une idée», in Collection des films Plans-Fixes, 1977–1993, Yverdon-les-Bains, Association Films Plans-Fixes, 1993, p. 8.! Il en est stupéfait, en parle autour de lui à des collègues et amis, Nag Ansorge, cinéaste d’animation, Jean Mayerat, cinéaste et photographe, Valdo Sartori, autre homme de radio, spécialiste de la prise de son. Il leur propose de combler cette lacune pour l’avenir et de se lancer dans la réalisation de portraits filmés de personnalités ou de «gueules» du pays romand ...

Avec l’aide de «Semper fidelis»

Sa proposition est accueillie avec intérêt, mais aussi avec quelques moues dubitatives, comme l’avoue Jean Mayerat dans son propre portrait réalisé de nombreuses années aprèsFilm n° 1198, Jean Mayerat, Regards engagés, 2002..

Toujours est-il que le premier portrait est réalisé en décembre de cette même année déjà par l’équipe de pionniers ci-dessus détaillée. Le petit viatique réuni pour cette réalisation provient d’une fondation liée à des cercles militaires, «Semper fidelis», qui décide de faire confiance à ces mousquetaires! Il est piquant de constater que le premier appui trouvé par le groupe Plans-Fixes, alors passablement marqué à gauche par la personnalité de ses pionniers comme Bory ou Mayerat, provient d’un cercle de droite ...

Un début quelque peu incertain

Ce premier portrait est celui de Constantin Regamey (Kiev 1907 – Lausanne 1982), orientaliste et compositeur1. La vision des premières séquences du film révèle une relative maladresse, qui ne manque d’ailleurs pas de charme! On a encore l’impression d’une épure: sur l’image d’un piano droit assombrissant le plan et d’un siège qui peine à rester dans le cadre, on entend une voix – celle de Michel Bory, l’interlocuteur – appelant Constantin Regamey à s’approcher: bruits de pas, une main s’agite sur la droite de l’écran, le «plan-fixé» apparaît, un peu gêné, boutonne son veston, s’excuse de ne pas avoir d’abord salué son interlocuteur, puis ouvre les bras, s’exclamant: «Alors, que dois-je faire, que dois-je dire?» ... Un début quelque peu incertain, mais, au visionnage, le portrait tient parfaitement le coup, comme le rappelle Jean Mayerat2!

Finances et austérité

Dans les films qui suivent, le projet se structure, l’image s’améliore ainsi que le son. Par souci d’économie (les finances sont réduites) et de simplification, on tourne en noir-blanc, montage minimum, en plans fixes dont le cadrage peut être modifié à la faveur du changement de bobine, toutes les 10 minutes. Les durées de prises de vue sont très variables: si le portrait de C. Regamey dure 47 minutes, le suivant consacré à George Simenon se limite à 20 minutes. Roland Béguelin a droit à 40 et le docteur Oscar Forel filmé en 1980 à 50 minutes: dès lors, la règle se stabilise vers 55 minutes, et l’on constate une progressive «professionnalisation» du rôle de l’interlocuteur, mal défini au début, tant sur l’image que sur la bande son.

Malgré ces hésitations et ces imperfections du début, le branle est donné: jusqu’en 1980, pas moins de vingt films sont tournés. L’interlocuteur est le plus souvent Michel Bory.

La locomotive Mayerat

Fin 1980, Michel Bory se retire. Une nouvelle personnalité, pas des moindres, entre dans le jeu et va longtemps assurer le rôle d’interlocuteur dans bien des portraits: Bertil Galland. L’éditeur et journaliste bien connu suggère en 1979 déjà de donner une assise au projet en créant l’Association Films Plans-Fixes. Ce qui a lieu à Yverdon-les-Bains, en novembre 1979, avec l’appui du syndic d’alors, Pierre Duvoisin. Bertil Galland endosse le rôle de président de la nouvelle association.

Mais le projet peine à se maintenir: de fin 1980 à juin 1983, aucun portrait n’est tourné, avant de trouver un rythme plus régulier depuis mai 1984. C’est que Jean Mayerat, en véritable homme-orchestre, assume dès lors la prise de vues de la plupart des films, en même temps que la présidence de l’association. Sous son égide, quelque 150 films sont réalisés, de Pierre Arnold, patron de la Migros (1984), au peintre José Venturelli (1988), en passant par le sculpteur André Ramseyer et bien d’autres. 

Les «preneurs d’images» ...

Deux «preneurs d’images» – ce terme inadéquat ne rend nullement compte de leur rôle primordial – remplacent progressivement Mayerat derrière la caméra: Olivier Frei et Willy Rohrbach. On peut citer, d’Olivier Frei, les beaux portraits de la photographe Suzi Pilet (1989), d’Yvette Théraulaz (1991) ou de Gaston Cherpillod (1992). C’est finalement Willy Rohrbach qui, dès son superbe portrait de l’écrivain Jacques Chessex en 1988, va progressivement imposer sa patte à la collection et l’amener – avec l’appui de Pierre-André Luthy, ingénieur du son – à un très bon niveau de qualité (excellents cadrages, réglage minutieux de la lumière, son parfait).

... Et les autres!

A l’automne 1995, face à la lourdeur des tâches générales de production engendrées par la fabrication de près de sept films par an en moyenne (contacts avec les «plans-fixés» pressentis, choix de l’interlocuteur et de l’équipe technique, recherche des fonds, tenue de l’agenda), l’association décide d’engager une secrétaire générale en la personne de Michèle Deschenaux, qui tient ce rôle avec dynamisme jusqu’en 2009, où elle est remplacée par Alexandre Mejenski.

Le comité de l’association joue évidemment un rôle-clé dans la gestion financière de cette PME que sont les Films Plans-Fixes3tourné sur pellicule noir-blanc 16 mm s’élève à environ Fr. 25 000.–. Aujourd’hui, le coût d’un film numérique Plans-Fixes atteint Fr. 19 000.– en incluant dans ce montant des frais relatifs à l’indexation du film (voir plus bas), à sa publicité ainsi qu’à sa conservation à moyen terme., mais il a aussi la tâche de choisir avec le secrétaire général et administrateur les personnes qui feront l’objet d’un portrait filmé. Il rassemble les propositions provenant des membres de l’association ou du comité, ou encore de personnes extérieures, et décide des priorités. Depuis quelques années, il s’efforce d’opérer ses choix en fonction de divers équilibres (hommes-femmes, professions libérales-métiers artisanaux ou industriels, régions de Suisse romande, notables et petites gens, etc.). Des équilibres difficiles à concrétiser, qui nécessitent de constants ajustements ...

La lourde tâche de recherche des financements est largement assumée par l’administrateur. Parfois – avec des succès variables – le cercle des amis du futur «plans-fixés» est sollicité, mais les apports des communes concernées et/ou des villes et cantons, ainsi que de certaines grandes fondations culturelles constituent l’essentiel de ce financement, avec l’apport souvent décisif de la Loterie Romande et de «Cineforum», nouvelle fondation romande de répartition de la manne financière en matière cinématographique.

De la pellicule 16 mm au numérique

Avec ses quelque 280 portraits, la collection représente aujourd’hui un véritable patrimoine audiovisuel de la Suisse romande, même si l’on peut y regretter des lacunes ou des portraits moins bien réussis. Consciente de ce trésor, consciente aussi du fait que le principe de cette collection est unique dans la production mémorielle européenne, l’association a très tôt pris contact avec la Cinémathèque suisse pour obtenir une conservation sûre de ses pellicules originales et des copies.

Aujourd’hui, la production se poursuit sous forme numérique, depuis que Kodak a cessé la production du format utilisé. Les masters numériques sont toujours remis à la Cinémathèque, avec laquelle une parfaite collaboration s’est instaurée sur la délicate question de la conservation du numérique.

Une équipe presque entièrement nouvelle assure actuellement la production des films avec Gilles Vuissoz à l’image, Gilles Abravanel au son, Michael Abbet et Alexandre Bluet à l’éclairage, Alexandre Mejenski à la production; Jean Mayerat, pionnier de la collection, continuant à assurer les portraits photographiques des «plans-fixés».

Malgré la grande souplesse que permet le numérique, la formule de départ est toujours respectée, non plus pour des motifs économiques, mais parce que cette austérité est devenue la «patte» artistique du projet: 50 à 55 minutes de tournage en noir-blanc, sans reprises ni coupures, en plans-fixes. 

Une collection à prendre avec des pincettes? 

Plus que jamais, le leitmotiv «un visage, une voix, une vie» lancé par l’ethnologue Bernard Crettaz colle à cette manière de faire. Derrière chacune de ces vies ainsi racontées se cache une richesse incroyable. Si les personnages se racontent, ils racontent aussi leur temps et leur vision du monde, avec leurs raccourcis et leurs omissions – volontaires ou pas, reflets de l’Histoire telle qu’elle se fait sous leurs yeux.

Alors, comment diable utiliser cette mine de renseignements, marquée au coin de la subjectivité? N’aurions-nous pas affaire à une sorte d’OVNI historique, mal ajusté aux recherches, une sorte de «collection-panthéon d’histoire régionale», pour reprendre une expression du professeur Gianni HaverHaver, G., «Les Plans-Fixes écrivent-ils l’histoire?» in Portraits de face, op. cit., p. 64.?

Il est évident qu’il ne s’agit pas d’un matériau d’histoire orale, si prisée aujourd’hui par les chercheurs. Pas de schéma d’interview unique, appliqué à chaque portrait, afin de faciliter les vérifications et recoupements ultérieurs; qui plus est, les portraits de Plans-Fixes ne visent pas forcément à «rendre perceptibles des savoirs spécialisés, des expériences et des événements qui ne laissent jamais de traces écrites», pour citer l’article «Histoire oral» du Dictionnaire historique de la Suisse4. Bien au contraire, la collection donne souvent la parole à des notables et des intellectuels, ou des artistes, autrement dit à une couche sociale cultivée n’ayant pas trop de peine à se valoriser. C’est certainement là une faiblesse dont nous sommes conscients, en partie due au manque de moyens financiers dès que l’on choisit de filmer des personnes de milieu modeste, qui ne jouissent pas de la même aura dans la société.

Le choix de ce qui sera dit ou non dit ne nous appartient pas; il relève du «plan-fixé» et de son interlocuteur. Notre objectif n’est pas de fournir un matériau brut de caractère historique. Nous livrons au public l’image, la voix et les souvenirs d’hommes ou de femmes de notre époque, à un moment de leur vie, souvent au soir de cette vie. Ce qu’ils cachent ou ce qu’ils enjolivent fait entièrement partie du portrait. Dès lors, comme le soulignait justement Gianni Haver5, «ce matériel est là. Réuni par des logiques non historiennes, et sans objectif de faire de l’histoire, c’est à l’historienne et à l’historien de s’adapter par son propre questionnement».

En ligne: une banque de données conduit au cœur de la collection 

Consciente du caractère très particulier de la collection – ni documentaire, ni matériau d’histoire orale – l’association a décidé, il y a quatre ans, de lancer un vaste travail d’indexation du contenu des portraits réalisés, travail effectué avec l’appui actif de l’Université de Lausanne et de l’EPFL (et qui se poursuit).

Ce travail d’indexation a permis la mise en ligne sur www.plansfixes.ch d’une banque de données détaillant le contenu de chaque film et facilitant la mise en relation des informations contenues dans les quelque 300 heures d’entretiens filmés à ce jour, grâce à l’interrogation par mots-clés6. Ainsi devient-il possible de déceler dans la collection les éléments de différents corpus, au-delà de l’hétérogénéité des portraits réalisés. Autre avantage: la possibilité de visionner des fragments réunis par l’interrogation ou la totalité d’un film. C’est là un pas décisif non seulement pour une meilleure visibilité de la collection, mais pour son emploi plus large pour diverses applications en histoire, au cinéma ou dans les médias.

«Rendre le XXe siècle mémorable» ...

L’association poursuit sa démarche, consciente de ses réussites comme de ses faiblesses et des lacunes qu’elle s’efforce de combler. Finalement, comme le disait Bertil Galland il y a quelques années: «Qui pourrait encore parler d’une Suisse romande médiocre? Plans-Fixes a tenté de rendre le XXe siècle mémorable»7. Aujourd’hui de plain-pied dans le XXIe siècle, l’association maintient le même objectif.

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Olivier Pavillon

vice-président de l’Association Films Plans-Fixes

  • 1 Film n° 1001, 47 min, 1977.
  • 2 Film n° 1198 cité plus haut en note 3.
  • 3 A la fin des années 90, le coût d’un portrait 
  • 4 Voir www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F27838.php.
  • 5 Haver, G., op. cit., p. 64.
  • 6 Voir http://index.www.plansfixes.ch. On trouvera dans Réseau PatrimoineS, Association pour le patrimoine naturel et culturel du canton de Vaud, n° 13, 2012, un article entièrement consacré à cette réalisation: «Valorisation d’un patrimoine». Audiovisuel: la collection des films Plans-Fixes accessible en ligne», par Myriam Benichou, Gaëlle Delavy et Brigitte Steudler.
  • 7 Portraits de face, op. cit., p. 103.

Abstract

Die Sammlung «Films Plans-Fixes» (die in Europa einzigartig ist) entstand 1977 und umfasst 35 Jahre danach 280 Filmporträts von Personen vor allem aus der Westschweiz. Das kleine, als Verein organisierte mittelständische Unternehmen, das von einem Komitee geleitet wird (das in erster Linie für die Auswahl der gefilmten Personen zuständig ist) verfügt über einen Administrator, der für die Produktion und die Mittelbeschaffung verantwortlich ist. Seit Kurzem ist es dank einer im Internet zugänglichen Datenbank möglich, mittels Schlagwortabfragen den Gesamtinhalt der Filme zu durchsuchen, die dann entweder thematisch (nach dem Ergebnis der Schlagwortabfrage) in Teilen oder in voller Länge angeschaut werden können.