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2013/1 Privatarchive

Archives Pictet: deux politiques de communication d’un patrimoine genevois privé

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En 2007, la Banque et la famille Pictet se sont dotées de deux structures distinctes destinées à conserver leurs archives historiques. D’une part, la banque a engagé un archiviste chargé de collecter et conserver les archives historiques de l’entreprise, d’autre part la famille a créé une fondation qui a pour but de réunir et de sauvegarder son patrimoine documentaire. Les deux structures sont juridiquement séparées et, bien que visant le même objectif, à savoir l’acquisition, la conservation, la description et la mise en valeur de leurs archives, elles sont soumises à des règles d’accès et de communication très différentes.

Nous présenterons dans cet article les démarches et les enjeux relatifs à la communicabilité de ces deux fonds d’archives privés. La première partie de l’exposé est consacrée aux archives historiques de la Banque Pictet, et la deuxième partie traite de la Fondation des archives de la famille Pictet. Pour chacune des deux sections, nous décrirons la genèse des projets d’archivage ainsi que les enjeux et les défis relatifs à leur politique d’accès et de communication.

Les archives historiques du Groupe Pictet

Le projet des archives historiques de la Banque Pictet a ses origines dans les festivités du bicentenaire en 2005. Cet anniversaire incita l’entreprise familiale à une réflexion sur son passé et son évolution depuis sa création en 1805. Les difficultés rencontrées pour réunir de la documentation sur l’ensemble de l’histoire de la banque ont convaincu les associés de créer en 2006 un poste d’archiviste à 50 % afin de réunir des archives retraçant les développements et les évolutions de la maison. La démarche est originale et reste plutôt rare en Suisse. En effet, pour la plupart des entreprises, la conservation d’archives historiques est considérée comme un coût non nécessaire. Rappelons également qu’en matière d’archives, aucune loi ne contraint une société privée à conserver ses documents au-delà de dix ans. Pour reprendre une expression de l’archiviste française Sylvie Dessolin-Baumann, les archives historiques d’entreprises demeurent donc «hors-la-loi»1 au sens littéral du terme. Alors que l’archiviste prenait ses fonctions chez Pictet en 2006, la banque quittait son siège du boulevard Georges-Favon qu’elle avait occupé pendant trente ans pour s’installer dans le quartier des Acacias. Le moment était idéal pour sensibiliser les collaborateurs à la constitution d’un fonds d’archives historiques, l’ensemble du personnel étant invité à faire du classement dans sa documentation en raison du déménagement. L’opération visait à réunir les documents à valeur patrimoniale, ayant perdu leur valeur administrative et légale, qui retraçaient les grands développements et les principales évolutions de l’institution. Dans les critères d’évaluation, il était également impératif que les documents ne contiennent aucune information relative à la clientèle, pour des raisons évidentes de confidentialité et de protection des données personnelles. Une fois les archives historiques installées dans le nouveau bâtiment, un grand travail d’inventaire a débuté. A cette tâche de description s’est ajoutée celle de consolider le fonds constitué avec l’extension de la collecte de documents à l’ensemble du Groupe Pictet. La première phase du projet s’est achevée en 2008 avec la finalisation des inventaires et la rédaction d’une politique d’archivage des documents historiques organisant les futurs tâches de l’archiviste (versements, classement, conservation, accès et mise en valeur). Initiées comme un projet spécial, non rattachées à la structure organisationnelle de l’entreprise, les archives historiques ont finalement été intégrées en 2009 au service de records management de la banque, un grand avantage pour l’archiviste qui est depuis lors en contact permanent avec les archives courantes de l’institution.

Valorisation des documents

Une fois le fonds d’archives historiques constitué et des versements réguliers mis en place se posa la question de l’accès et de la mise en valeur des documents. Evoluant dans un secteur économique où la notion de confidentialité est non seulement garantie légalement par le secret bancaire, mais où les relations avec la clientèle sont essentiellement basées sur la confiance et la discrétion2, Pictet gère la communication de ses archives historiques de manière très stricte. Tout d’abord, l’accès aux archives est exclusivement réservé aux collaborateurs de l’entreprise. De plus, cet accès est limité, pour la plus grande partie des documents, aux fonctions de direction. Bien entendu, chaque service peut consulter l’inventaire des archives qu’il a versées, mais l’accès physique aux documents est dans tous les cas subordonné à l’autorisation du chef de service. En règle générale, un délai de dix ans est appliqué à la consultation interne des archives.

La mise en valeur des archives historiques de Pictet répond à deux exigences. Elle a d’abord un rôle de publicité pour le service d’archives. En effet, la valorisation de documents historiques à travers des expositions, des articles dans la revue d’entreprise ou des publications historiques spécialisées permettent au projet de se faire connaître et d’accroître sa visibilité et sa crédibilité au sein de l’entreprise. Deuxièmement et prioritairement, il s’agit de faire partager à l’ensemble des collaborateurs du groupe, l’histoire et le patrimoine administratif de la banque car c’est la véritable raison d’être des archives historiques Pictet. Cette exigence peut revêtir un aspect opérationnel : l’archiviste a comme rôle principal de répondre à toutes les demandes qui peuvent lui être adressées afin de retracer pour ses clients (internes) l’histoire de certains départements ou filiales, le contexte historique de certaines décisions, ou encore d’apporter une expertise historique à certains services (particulièrement la direction, la communication ou les analyses financières). Toujours dans un contexte opérationnel, mais plus rarement, l’archiviste peut avoir à offrir ses services à la clientèle de la banque qui souhaiterait prendre connaissance de faits historiques précis sur le passé de la Maison.

L’exigence de mise en valeur des archives à l’interne revêt également un aspect culturel : les archives d’entreprise représentent en effet une véritable plus-value pour la préservation et la transmission de la culture d’entreprise3. Pendant longtemps en effet, comme c’est souvent le cas dans une entreprise d’origine familiale, Pictet avait traditionnellement l’habitude de transmettre oralement son savoir-faire.

Si Pictet est une entreprise qui connaît un assez faible tournus de son personnel, il n’en reste pas moins qu’elle a vécu une expansion sans précédent durant les trente dernières années, en multipliant quasiment par dix son nombre de collaborateurs. Pour la première fois de son histoire, l’entreprise se retrouve confrontée à un déficit de culture interne parmi les nouvelles générations d’employés. La mise en valeur des archives devient alors un moyen idéal de communiquer une culture et un passé commun, créateur de cohésion et d’efficacité.

La communication externe

Pour conclure la première partie de cet article, quelques mots sur la communication externe des documents d’archives. Si nous avons insisté sur le fait que les archives historiques de Pictet ne peuvent être accessibles qu’à l’interne, elles jouent tout de même un certain rôle vis-à-vis du public externe. En effet, dans le secteur très compétitif de la banque privée, la tradition et l’histoire d’une entreprise plus que bicentenaire sont un vrai gage de stabilité et de confiance pour sa clientèle. C’est pourquoi la banque, bien qu’étant une entreprise tournée vers l’innovation, met en évidence sa longue histoire à travers son site web4ou diverses publications dédiées. Dans ce cadre, l’archiviste peut être sollicité pour fournir de la documentation ou apporter son expertise au service de communication chargé de mettre en valeur l’histoire de l’entreprise à l’externe, et parfois pour répondre à des demandes spécifiques (journalistes ou historiens par exemple). Dans ce cas, toute information sortante doit être contrôlée et avisée par le service de communication.

La Fondation des archives de la famille Pictet

Comme nous l’avons mentionné, depuis le XIXe siècle, plusieurs générations de Pictet ont contribué à l’essor de la banque, mais la généalogie et les liens de la famille avec Genève sont bien antérieurs. En 1974, un grand travail de biographie sur la famille a été réalisé pour célébrer les 500 ans de l’obtention de la bourgeoisie genevoise5. A cette occasion, une grande masse d’archives sur la famille a notamment été réunie et consultée. Si de nombreuses sources étaient conservées par des institutions publiques (Archives d’Etat de Genève et Bibliothèque de Genève), plusieurs fonds et documents épars étaient encore en mains familiales. Constituée devant notaire en juin 2007 selon les articles 80 et suivants du Code civil suisse, la Fondation des archives de la famille Pictet, reconnue d’utilité publique, n’a ni but lucratif ni caractère politique ou confessionnel. Les membres fondateurs de l’institution lui ont dès son origine attribué les objectifs suivants : d’une part il s’agit de rassembler, inventorier et mettre en valeur les documents (archives, peintures, affiches, objets) encore dispersés dans la famille. D’autre part, elle doit prendre connaissance des fonds déposés dans des institutions publiques ou privées et, dans le cas de documents essentiels conservés à l’étranger, de rapatrier des copies d’archives à Genève. Des locaux ont spécialement été aménagés pour accueillir les documents et autres objets collectés. L’institution est dirigée par un Conseil de Fondation composée de membres de la famille. Elle emploie un archiviste à 20 % chargé d’inventorier les archives, de répondre aux demandes de recherches et d’accueillir le public dans ses locaux.

L’acquisition de documents s’est faite et continue à se faire sur une base volontaire. Les membres de la famille qui le désirent ont la possibilité de déposer les documents qu’ils souhaitent sur la base de dons ou de dépôts réglés par convention. A ce jour, la Fondation conserve quelques 40 mètres linéaires de documents ainsi que de nombreuses copies d’archives provenant d’institutions étrangères.

Outre la conservation du patrimoine familiale, la Fondation cherche également à affermir les liens entre les membres de la famille, en organisant des réunions et des expositions autour d’archives qui reflètent plus de 500 ans d’histoire de Genève et de la Suisse. Elle a notamment lancé une collection de publications destinée à mettre en valeur les sources inédites qu’elle conserve. La plupart de ces brochures sont disponibles gratuitement sur son site Internet6.

Une politique de communication originale

Si la démarche de création d’une telle structure se retrouve chez plusieurs familles patriciennes en Suisse, la grande originalité de la Fondation des archives de la famille Pictet réside dans la politique de communication de ses archives. L’institution s’est en effet dotée d’un Règlement d’accès et de communication7 qui régule la communicabilité, sous certaines conditions, des archives qu’elle conserve.

Le Règlement d’accès et de communication définit d’abord son champ d’application, à savoir les documents et inventaires déposés et donnés par des membres de la famille, ainsi que les copies d’archives d’autres provenances. Puis, il détermine deux catégories d’usagers qui sont pourvus de droits d’accès différents : premièrement, les membres de la famille qui disposent d’un accès libre à l’ensemble des archives et des inventaires à la seule condition que les documents soient en état d’être consultés et que leur intégrité physique ne soit pas menacée. La deuxième catégorie comprend tous les autres types d’utilisateurs qui, pour obtenir l’accès aux documents conservés par la famille, doivent obtenir l’autorisation d’un membre du Conseil de Fondation, sous condition également du bon état des archives. La Fondation se réserve finalement le droit de restreindre ou d’interdire l’accès à certains documents, notamment lorsque leur divulgation est interdite, soit par la loi, soir par accord contractuel, ou encore pour défendre les intérêts de la famille.

Le texte régule aussi les conditions de communication, de reproduction et d’usage des archives familiales. Outre les recommandations d’usage (interdiction de fumer, d’amener de la nourriture dans la salle de lecture, etc.), il est spécifié que la consultation est gratuite et se fait exclusivement sur rendez-vous. Elle doit aussi impérativement se dérouler dans les locaux de la Fondation. La reproduction de documents est en principe autorisée à l’exception des demandes qui viseraient un but commercial, qui sont soumises à une approbation spéciale du Conseil de Fondation. L’usage des archives à des fins de publication est également autorisé sous réserve que l’utilisateur fasse mention des références aux sources appropriées et qu’il fournisse un exemplaire à titre gracieux de l’ouvrage publié. En revanche, il n’est exigé aucun droit de regard de la part de la Fondation sur les travaux produits.

Une institution en contact avec la recherche historique

Depuis 2007, la Fondation a accueilli dans ces locaux et/ou répondu aux questions de plus d’une centaine de chercheurs, et de nombreux travaux originaux fondés sur des archives inédites sont venus couronner l’effort de communicabilité des fonds d’archives familiaux. La Fondation privilégie également les contacts avec des institutions patrimoniales genevoises et se tient, dans la mesure de ses moyens, à disposition de ces établissements publics ou privés pour le prêt de documents ou l’organisation d’évènements. C’est ainsi qu’elle a prêté des documents d’archives pour des publications et des expositions organisées notamment par la Bibliothèque de Genève, les Archives d’Etat de Genève ou encore l’Espace Rousseau.

Depuis 2010, elle accueille dans ses locaux des étudiants de Master d’histoire de l’Université de Genève dans le cadre d’un séminaire de présentation des centres d’archives genevois. C’est sur cette base collaborative que la Fondation souhaite continuer à agir dans le futur.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, la Banque Pictet et la Fondation des archives de la famille Pictet, deux institutions juridiquement et structurellement séparées, évoluent dans deux contextes très différents qui impliquent deux politiques de communication distinctes de leurs archives historiques. D’une part le monde de la banque privée où la confidentialité et la discrétion sont des valeurs cardinales. Dans ce cas les archives historiques viennent renforcer la culture d’entreprise et sont destinées exclusivement à un public interne. D’autre part, les archives familiales qui, bien que soumises à un règlement de communication stricte, se positionnent comme un modeste établissement patrimonial proposant un accès public à ses fonds. Pour ces deux institutions, un point commun cependant : une profonde conscience de l’importance de leur patrimoine documentaire.

Christeller Laurent 2024

Laurent Christeller

Responsable des archives historiques du groupe Pictet et en charge de la Fondation des archives de la famille Pictet à Genève. Diplômé en archivistique des Universités de Berne et Lausanne. Membre du groupe de travail des archives d’entreprises privées de l’AAS et du comité de pilotage du Forum des archivistes genevois.

  • 1 Dessolin-Baumann, S., L’archiviste d’entreprise : portrait d’un homme nouveau, in : La Gazette des archives, n° 154, Paris, 1991, p. 156.
  • 2 Pour un développement complet sur la notion de secret et de communicabilité des archives dans les entreprises suisses, Cf. Christeller, L., « L’accès aux archives d’entreprise en Suisse : Conserver et communiquer un patrimoine entre secret et transparence », in: Coutaz, G., Knoch-Mund, G., Toebak, P., Informationswissenschaft: Theorie, Methode und Praxis/Sciences de l’information : théorie, méthode et pratique. Travaux de/ Arbeiten aus dem Master of Advanced Studies in Archival and Information 2008–2010, Baden, hier+jetzt, 2012.
  • 3 Lire à ce sujet Iser, I., « Geschichte in Unternehmen und Unternehmen in der Geschichte: vom Nutzen eines Firmenarchivs », in : Coutaz, G., Knoch-Mund, G., Toebak, P., Informationswissenschaft: Theorie, Methode und Praxis/Sciences de l’information : théorie, méthode et pratique. Travaux de/Arbeiten aus dem Master of Advanced Studies in Archival and Information 2006–2008, Baden, hier+jetzt, 2010, pp. 129–145.
  • 4 www.pictet.com/fr/home/about/history.html (consulté en déc. 2012).
  • 5 Candaux, J.-D., Histoire de la famille Pictet 1474–1974, Genève, Braillard, 1974.
  • 6 www.archivesfamillepictet.ch/bibliographie/publications.htm (consulté en déc. 2012).
  • 7 Le texte intégral du règlement est disponible sur le site de la Fondation : www.archives-famillepictet.ch/infospratiques/conditions-acces.htm.

Abstract

Der Beitrag stellt die Grundsätze des Zugangs und der Kommunikation für die historischen Archive von zwei rechtlich getrennten Institutionen vor: der Bank Pictet & Cie und der Stiftung des Familienarchivs Pictet. Der Zugang zum Archiv der Bank ist internen Nutzern vorbehalten und hat vor allem das Ziel, die Unternehmenskultur zu befördern. Die Stiftung des Familienarchivs Pictet stellt das Familienarchiv einem externen Publikum zur Verfügung und regelt den Zugang zu seinen Beständen mittels einer detaillierten Benutzungsregelung.